Salamandre pourpre (Gyrinophilus porphyriticus) plan de gestion 2014: partie 1
1. Évaluation de l’espèce par le COSEPAC*
Date de l’évaluation : Mai 2002
Nom commun (population) : Salamandre pourpre
Nom scientifique : Gyrinophilus porphyriticus
Statut selon le COSEPAC : Préoccupante
Justification de la désignation : Cette espèce a une aire de répartition limitée et fragmentée et des exigences spécialisées en matière d’habitat. Elle est vulnérable à la détérioration de l’habitat menant à une perte de population. En raison des faibles taux de dispersion, ainsi que d’une maturité sexuelle tardive, les populations disparues ont peu de chances de se rétablir.
Présence au Canada : Québec et Ontario
Historique du statut selon le COSEPAC : Espèce désignée préoccupante en avril 1999. Réexamen et confirmation du statut en mai 2002.
* COSEPAC : Comité sur la situation des espèces en péril au Canada
En mai 2011, la situation de la salamandre pourpre a été ré-évaluée par le COSEPAC (2011). L’espèce a été divisée en deux unités désignables distinctes : (1) la population carolinienne, située en Ontario, a été désignée disparue du pays, et (2) la population des Adirondacks et des Appalaches, située au Québec, a été désignée menacée.
La salamandre pourpre (Gyrinophilus porphyriticus) a été inscrite comme espèce préoccupante à l’annexe 1 de la Loi sur les espèces en péril (L.C. 2002, ch. 29) (LEP) en 2005. Au Québec, elle a le statut d’espèce vulnérable depuis 2009 en vertu de la Loi sur les espèces menacées ou vulnérables (L.R.Q., c. E-12.01). En Ontario, l’espèce a le statut d’espèce disparue depuis 2008 selon le Règlement de l’Ontario 230/08, qui découle de la Loi de 2007 sur les espèces en voie de disparition (S.O. 2007, c. 6).
Selon NatureServe (2011), la cote de priorité de conservation globale de la salamandre pourpre, pour l’ensemble de son aire de répartition, est G5 (non à risque). Elle est également considérée non à risque (N5) aux États-Unis alors qu’au Canada elle est considérée vulnérable (N3). L’espèce a le rang S3 (vulnérable) au Québec et SX (possiblement extirpé) en Ontario.
Le Canada comprend entre 0,7 % et 8,6 % de l’aire de répartition mondiale de l’espèce (COSEPAC, 2011).
La salamandre pourpre, qui fait partie de la famille des salamandres dépourvues de poumons (Pléthodontidés), est une grande salamandre dont la longueur totale varie de 11 à 23 cm chez les adultes. Cette salamandre se distingue par sa coloration saumonée, par la présence d’une ligne claire allant de l’œil à la narine et par sa longue queue compressée latéralement. À l’éclosion, les larves ont une coloration pouvant varier de jaune-brun à gris et mesurent de 1,8 à 2,6 cm (COSEPAC, 2011). Pour une description exhaustive de la morphologie de l’espèce, le lecteur est invité à consulter le rapport de situation de l’espèce (COSEPAC, 2011).
Les informations présentées dans cette section sont principalement tirées du plus récent rapport de situation de la salamandre pourpre au Canada (COSEPAC, 2011).
La salamandre pourpre est une espèce endémique à l’Est de l’Amérique du Nord. Son aire de répartition, qui superpose la chaîne de montagnes des Appalaches, est située majoritairement aux États-Unis. Le sud-est du Québec représente la limite nord de l’aire de répartition. Sa répartition s’étend vers le sud à tous les États de la côte est des États-Unis, exceptés le Delaware et la Floride, et ce jusqu’au Mississipi (limite sud). La limite ouest de répartition comprend les états du Tennessee, du Kentucky et de l’Ohio (figure 1).
Au Canada, la salamandre pourpre n’est actuellement présente que dans le sud-est du Québec, exclusivement dans l’écorégion des Appalaches. En Ontario, une seule observation de l’espèce est considérée valide et consiste en trois larves, capturées en 1877 dans le comté de Welland (aujourd’hui inclus dans la Niagara Regional Municipality) (figure 1). Après un effort d’inventaire majeur dans la péninsule du Niagara entre 2006 et 2008, où près de 15 000 observations d’amphibiens et reptiles ont été récoltées, l’espèce n’a pas été détectée (Yagi et al., 2009). L’espèce est d’ailleurs considérée comme disparue par le gouvernement de l’Ontario depuis 2008, et le COSEPAC a désigné la population de l’Ontario (population carolinienne) comme étant disparue du pays en avril 2011.
Figure 1. Aire de répartition mondiale de la salamandre pourpre. Tirée de COSEPAC (2011)
Au Québec, la zone d’occurrence[1] de la salamandre pourpre se situe au sud du fleuve Saint-Laurent et à l’ouest de la rivière Chaudière. Vingt-quatre sous-populations sont définies par le COSEPAC (2011), dont celle de Portneuf qui se situe dans l’écorégion des Basses-terres du Saint-Laurent. COSEPAC (2011) émettait un doute sur la validité de cette sous-population. Suite à une validation auprès de l’observateur, cette sous-population n’est pas valide puisqu’elle repose sur des coordonnées géographiques erronées. Conséquemment, cette sous-population n’est pas davantage considérée dans le présent plan de gestion. Les 23 sous-populations sont isolées les unes des autres, et sont principalement situées à une altitude qui varie de 214 m à 444 m. L’indice de la zone d’occupation[2] de ces dernières est de 1 412 km²[3], et plus de 95 % de cette superficie se trouve sur des terres privées. Les sous-populations sont réparties parmi six complexes montagneux des Appalaches : les collines montérégiennes (3 sous-populations), le piémont des Montagnes vertes (9 sous-populations), le piémont des Montagnes blanches (3 sous-populations), les collines de l’Estrie (5 sous-populations), les collines de Bécancour (2 sous-populations) et le piémont des Adirondacks (1 sous-population). Certaines sous-populations des piémonts (Adirondacks, Montagnes vertes, Montagnes blanches) sont vraisemblablement partagées avec les États-Unis.
Figure 2. Répartition actuelle des sous-populations de salamandres pourpres répertoriées par le COSEPAC (2011) et observations de l’espèce obtenues entre 2009 et 2012. La sous-population de Portneuf n’est pas représentée sur la carte. Modifiée de COSEPAC (2011)
Le piémont des Montagnes vertes constitue le cœur de l’indice de la zone d’occupation (61,3 %) (tableau 1). C’est également dans ce complexe montagneux que l’on trouve le plus grand nombre d’observations. Bien qu’elle n’ait pas été quantifiée récemment, l’importance de l’indice de la zone d’occupation qui se situe dans le piémont des Montagnes blanches et les collines de Bécancour a considérablement augmenté depuis 2009, des inventaires professionnels ayant permis d’ajouter plusieurs nouvelles localités (figure 2) (Laurendeau, en préparation). Ces complexes pourraient être encore plus importants du fait que plusieurs secteurs d’habitat convenable n’ont jamais été inventoriés. Les collines montérégiennes et les collines de l’Estrie présentent des sous-populations isolées dont l’indice de la zone d’occupation est généralement modeste. Finalement, la sous-population du piémont des Adirondacks, qui est située à plus de 75 km de la sous-population la plus proche, marque la limite ouest de la répartition actuellement recensée au Canada (figure 2).
Complexe montagneux | Sous-population (montagne/localité) |
Dernière période d’observation | IZO*(km²) | IZO protégée** (km²) |
---|---|---|---|---|
Piémont des Montagnes vertes | Monts Sutton | 1999-2008 | 320 | 128 |
Mont Orford | 1999-2008 | 116 | 72 | |
Lac Brompton | 1989-1998 | 104 | 16 | |
Bolton | 1999-2008 | 96 | 20 | |
Montagne du Cinq | 1999-2008 | 88 | 0 | |
Lac Memphrémagog | 1999-2008 | 52 | 3 | |
Mont Le Pinacle | 1999-2008 | 48 | 3 | |
Monts Owl’s Head et Éléphant | 1999-2008 | 44 | 0 | |
Mont Foster | Avant 1989*** | n.a. | n.a. | |
Collines de l’Estrie | Westburry | 1999-2008 | 108 | 0 |
Mont Stoke | 1989-1998 | 32 | 0 | |
Lac Massawippi | 1999-2008 | 24 | 0 | |
Mont des Smith | Avant 1989*** | n.a. | n.a. | |
Cassville | Avant 1989 | n.a. | n.a. | |
Collines de Bécancour | Kinnear’s Mills | 1989-1998 | 116 | 0 |
Arthabaska | 1989-1998 | 32 | 0 | |
Piémont des Adirondacks | Covey Hill | 1999-2008 | 116 | 16 |
Collines montérégiennes | Mont Shefford | 1999-2008 | 48 | 12 |
Mont Yamaska | 1999-2008**** | 16 | 0 | |
Mont Brome | 1999-2008**** | n.d. | n.d. | |
Piémont des Montagnes blanches | Montagnes blanches | 1989-1998 | 28 | 0 |
Sixtynine Mountain | 1999-2008 | 16 | 0 | |
Mont Mégantic | 1999-2008 | 8 | 0 |
* Indice de la zone d’occupation. Adapté de COSEPAC (2011)
** Située dans une aire protégée (selon L.R.Q., c. R-26 et L.R.Q., c. P-9) ou sur une terre privée vouée à la conservation (ex. mesures d’intendance)
*** Des inventaires réalisés en 2012 ont confirmé la présence de l’espèce (Laurendeau, en préparation)
**** Des données inédites validées ont été obtenues suite au rapport du COSEPAC (2011) et confirme la présence de l’espèce entre 1999 et 2008.
La taille des sous-populations répertoriées par le COSEPAC demeure inconnue. L’espèce est peu fréquente et les densités retrouvées sont généralement basses, soit moins de huit individus par 100 mètres de ruisseau. Les données actuellement colligées ne permettent pas d’évaluer la tendance de la population. Malgré la disparition suspectée d’une sous-population qui n’a pas été détectée depuis plus de 25 ans (Cassville - tableau 1), la tendance de la zone d’occurrence est à la hausse depuis le début des années 2000. Cette tendance est toutefois associée au fait que la répartition de l’espèce était peu connue avant les années 2000 et que les connaissances ont considérablement augmenté depuis (COSEPAC, 2011).
Les besoins biologiques et ceux en matière d’habitat, de même que les facteurs limitatifs de la salamandre pourpre, sont décrits en détail dans le rapport de situation du COSEPAC (2011).
La salamandre pourpre est dépourvue de poumons et utilise une respiration cutanée. Cette caractéristique implique que sa peau doit demeurer humide en permanence afin d’assurer les échanges gazeux. La salamandre pourpre fréquente principalement l’amont des petits cours d’eau montagneux aux fonds rocheux et aux eaux bien oxygénées, claires et froides. Afin de permettre le développement des larves et de maximiser le taux de survie des individus, ces petits tributaires doivent également être bordés de forêts et dépourvus de poissons. Lors d’une étude de Lowe (2003) d’une durée de trois ans menée en Nouvelle-Angleterre sur 118 salamandres pourpres, 97 individus se sont déplacés de moins d’un mètre. Dans le cas des 21 individus qui se sont déplacés de plus d’un mètre, la distance moyenne parcourue fut de 9,1 m (± 2,8 m). La distance maximale parcourue vers l’amont fut de 484 m, et de 85 m vers l’aval. À l’encontre des larves de l’espèce, qui sont confinées aux habitats aquatiques, les adultes peuvent utiliser le milieu forestier riverain sur des distances pouvant aller jusqu’à neuf mètres (généralement moins de deux mètres). Les mouvements effectués en milieu terrestre sont plus fréquents entre les mois de juin et juillet, alors que la distance d’éloignement par rapport au milieu aquatique semble dépendre du stade de succession végétale du milieu riverain.
Pour contrer la prédation, la salamandre pourpre a besoin que soient présents, dans son habitat, des abris qui lui permettent de se cacher en tout temps. Ces abris sont le plus souvent des roches ou de vieux troncs d’arbres tombés au sol (habitat terrestre). Étant donné la taille importante des individus, les abris doivent présenter des espaces interstitiels de bonne taille. Les abris seraient notamment importants durant l’hiver pour protéger les individus contre le gel. Les œufs sont également pondus sous de tels abris.
Les habitats de ponte et d’hibernation sont très peu documentés. Ceux-ci se trouvent en milieu aquatique et, selon les données disponibles aux États-Unis, il n’y aurait pas de migration entre les différentes étapes du cycle vital.
La respiration cutanée et la susceptibilité de la salamandre pourpre à la prédation la confinent à des habitats particuliers (ex. sommets de montagnes), ce qui a pour effet d’isoler les différentes sous-populations. L’espèce est également caractérisée par une capacité de dispersion limitée. De fait, on estime les déplacements journaliers moyens à moins de 15 cm (W. H. Lowe, comm. pers.). Aussi, et contrairement à la majorité des organismes de ruisseaux, la salamandre pourpre effectue principalement sa dispersion vers l’amont du réseau hydrographique.
La maturité sexuelle de la salamandre pourpre est normalement atteinte à l’âge de cinq ans. Cette caractéristique en fait l’espèce de sa famille (Pléthodontidés) qui atteint la maturité sexuelle à l’âge le plus avancé. C’est également une espèce territoriale qui affiche un faible taux de recrutement, ce qui se traduit par une faible densité d’individus. Puisque l’espèce a une espérance de vie probablement supérieure à 10 ans, il est probable que le maintien de la population de salamandres pourpres dépende en grande partie de la survie des adultes, comme c’est le cas chez d’autres espèces longévives atteignant tardivement l’âge de la première reproduction.
1 La superficie délimitée par un polygone sans angle concave comprenant la répartition géographique de toutes les populations connues d’une espèce.
2 L’indice calcule la superficie au sein de la « zone d’occurrence » qui est potentiellement occupée par l’espèce. Cet indice est fonction de l’altitude et des déplacements possibles de l’espèce. Voir COSEPAC (2011) pour plus de détails.
3 Ce total exclut l’indice de la zone d’occupation calculé pour la sous-population de Portneuf (4 km²).
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