Oreillard maculé (Euderma maculatum) évaluation et mise à jour du rapport de situation du COSEPAC : chapitre 6

Biologie

Généralités

La biologie générale de l’oreillard maculé n’est pas bien documentée. Néanmoins, sa stratégie vitale générale est probablement semblable à celle d’autres chauves-souris de la famille des Vespertilionidés des régions tempérées : capacité d’entrer en torpeur, longévité élevée et faible taux de reproduction. Les gîtes sont critiques pour la protection contre les prédateurs et fournissent un abri et des conditions physiologiques adaptées. L’écholocation sert à l’orientation en vol et à la détection des proies.

Reproduction

Les données sur la reproduction de l’oreillard maculé sont rares. La plupart des chauves-souris canadiennes s’accouplent à l’automne, mais le moment de la copulation des oreillards maculés n’est pas connu. Les seules données de reproduction disponibles concernant les mâles sont celles de Poché (1975, 1981), qui a observé des mâles avec du sperme mature dans la queue de l’épididyme (capturés en mars et avril) et d’autres mâles ayant des testicules scrotaux (capturés en mai et juin). Les femelles donnent naissance à un seul petit pendant la saison de reproduction (Watkins, 1977). Le petit naît généralement en mai ou juin, et des femelles allaitantes ont été observées de juin à août aux États-Unis (Watkins, 1977). On n’a aucune date précise pour la parturition de l’oreillard maculé au Canada, mais des données limitées indiquent que les petits naissent à la fin juin ou au début juillet (Nagorsen et Brigham, 1993). Dans l’État du Washington, les petits volent dès la mi-août (Sarell et McGuiness, 1993). On ne sait pas à quel âge les oreillards maculés atteignent la maturité sexuelle.

Survie

Il n’existe aucune donnée sur la longévité, mais l’oreillard maculé vit probablement longtemps, tout comme d’autres Vespertilionidés des régions tempérées. On ne connaît pas le taux de survie ni la structure par âge des populations de l’espèce. Les données sur la mortalité sont elles aussi limitées à quelques observations anecdotiques. Black (1976) décrit un cas de prédation en plein jour d’un oreillard maculé par une crécerelle d’Amérique (Falco sparverius). Par ailleurs, des oreillards maculés en quête de nourriture la nuit se font sans doute occasionnellement chasser par des hiboux. On a signalé deux cas de rage chez l’oreillard maculé (Constantine et al., 1979) aux États-Unis. Un oreillard maculé enragé trouvé près du mont Bastion, en Colombie-Britannique, en 1994, est le seul cas connu de rage au Canada chez cette espèce de chauve-souris.

Physiologie

Les oreillards maculés partent à la recherche de nourriture quand il fait entre 4,4 et 18,3 °C (Leonard et Fenton, 1989). L’espèce entre en torpeur pour réduire ses besoins en énergie lorsque les températures sont peu élevées. Poché (1981) a observé que les oreillards maculés en captivité ne parvenaient à voler que maladroitement quand leur température corporelle tombait à 23 °C. Un mâle capturé en janvier, dont la température du corps n’était que de 0,8 °C, est parvenu à faire monter sa température à 32,5 °C en 10 minutes après avoir été exposé à une température ambiante de 20 °C. On ne sait pas dans quelle mesure cette espèce peut prolonger ses épisodes de torpeur en période d’hibernation. Au Utah, on a capturé des individus dans des filets japonais au milieu de l’hiver (Poché, 1981; Ruffner et al., 1979). Au Canada, on n’a détecté des oreillards maculés qu’entre avril et octobre (Nagorsen et Brigham, 1993).

L’oreillard maculé est également exposé à des températures ambiantes élevées pendant l’été. Selon Poché (1981), les individus au repos exposés à une température de 35 °C déploient leurs ailes ainsi que leur uropatagium et dressent leurs oreilles vers l’avant pour exposer une plus grande surface corporelle afin de se rafraîchir. À 38 °C, le les oreillards maculés commencent à haleter. Des oreillards maculés en captivité exposés à une température de 25 à 30 °C buvaient environ 1,2 cm³ d’eau par jour.

Déplacements et dispersion

Il n’existe aucune donnée sur les déplacements et la dispersion. Dans le sud de la vallée de l’Okanagan, des études de radiopistage par Wai-Ping et Fenton (1989) ont révélé que les oreillards maculés se déplacent dans un rayon de 6 à 10 km de leur gîte diurne pour se rendre dans leurs aires d’alimentation. Des allers-retours (gîtes diurnes-aires d’alimentation) de 77 km ont été rapportés dans le parc national du Grand Canyon, dans le nord de l’Arizona (Rabe et al., 1998). De mai à juillet, les oreillards maculés sont très fidèles à leur gîte, retournant au même nuit après nuit (Wai-Ping et Fenton, 1987, 1989). Dès le début août, les déplacements quotidiens deviennent plus imprévisibles. Cette infidélité reflète peut-être des changements de comportement associés à la présence de femelles allaitantes et de petits capables de voler, ou à des migrations. On ne sait rien des déplacements saisonniers ni des migrations sur de longues distances.

Alimentation et relations interspécifiques

Des analyses du contenu stomacal et des boulettes fécales ont montré que l’oreillard maculé se nourrit principalement de papillons de nuit (5-2 mm de longueur) (Easterla, 1965; Ross, 1967; Poché, 1981; Wai-Ping et Fenton, 1989). En dépit d’une observation interprétée comme preuve de glanage (capture des proies sur des surfaces), l’oreillard maculé semble prendre ses proies en vol en recourant à des signaux d’écholocation pour détecter et suivre les papillons de nuit (Woodsworth et al., 1981; Wai-Ping et Fenton, 1989). Les oreillards maculés recherchent leur nourriture à 5 à 30 m d’altitude, en décrivant des ellipses de 200 à 300 m.

Comme les signaux d’écholocation (figure 7) reflètent plusieurs adaptations à la chasse aux papillons de nuit, Fullard et Dawson (1997) ont émis l’hypothèse selon laquelle l’espèce serait une prédatrice spécialiste des papillons de nuit. Ses signaux d’écholocation de basse fréquence ont une fréquence dominante de 9 à 12 kHz (audibles à l’oreille humaine) ainsi que plusieurs séries harmoniques de fréquence plus élevée. De nombreux papillons de nuit ont des « oreilles » qui sont sensibles aux signaux d’écholocation des chauves-souris, ce qui leur permet de les détecter et d’éviter d’être capturés. Fullard et al. (1983) ont constaté que la plupart des papillons de nuit dans l’aire de répartition canadienne de l’oreillard maculé sont surtout sensibles aux fréquences ultrasoniques de 30 à 75 kHz; ils seraient donc incapables de détecter les signaux de recherche de l’oreillard maculé. Des études expérimentales réalisées par Fullard et Dawson (1997) ont révélé que les signaux courts, faibles et de basse fréquence de l’oreillard maculé sont soit inaudibles pour la plupart des papillons de nuit, soit seulement détectables à une très faible distance (moins de 1 m). Ces papillons sont donc vulnérables à la capture. Vu leur grande longueur d’onde (caractéristique des sons de basse fréquence), les signaux de l’oreillard maculé sont très efficaces pour détecter les objets d’environ 10 mm de diamètre; cette observation est appuyée par la taille des papillons de nuit retrouvés dans les restes de proies (Leonard et Fenton, 1984). Toutefois, comme aucune étude approfondie sur l’alimentation de l’oreillard maculé n’a été effectuée, on ne sait pas à quel point elle se limite aux papillons de nuit.

Même si l’oreillard maculé était un spécialiste des papillons de nuit, il aurait une réserve de proies variée et abondante. D’après Don Lafontaine (obser. pers.), l’écozone de la cordillère montagnarde de la Colombie-Britannique abrite environ 700 espèces de noctuelles, dont plus de la moitié vivrait dans les steppes et prairies de basse altitude comme la vallée de l’Okanagan. Les espèces telles que le ver gris sont particulièrement abondantes et variées dans les communautés des prairies. Un piège lumineux (pouvoir attractif de 6 m) installé dans ces habitats devrait capturer plusieurs milliers de papillons de nuit par nuit tiède.

Figure 7. Sonogramme de signaux représentatifs de l’oreillard maculé (Euderma maculatum). A, B : phase de la recherche; C : phase de l’approche; D : bourdonnement terminal associé à l’alimentation. L’encart montre les variations de la note fondamentale des signaux. Tiré de Leonard et Fenton (1984).

Figure 7. Sonogramme de signaux représentatifs de l’oreillard maculé (Euderma maculatum)

Avec 12 à 14 espèces, les prairies du sud intérieur de la Colombie-Britannique abritent la communauté de chauves-souris la plus diversifiée au Canada, et certaines espèces s’y trouvent en fortes densités (Fenton et al., 1980). La plupart des chauves-souris de cette région recherchent leur nourriture dans les vallées, au-dessus des lacs, des marais, des prairies ou des forêts clairsemées. Un certain chevauchement alimentaire avec l’oreillard maculé est donc prévisible. Toutefois, la compétition pour les ressources alimentaires est probablement limitée; ces autres espèces de chauves-souris sont souvent des prédateurs opportunistes qui se nourrissent d’une variété d’invertébrés en plus des papillons de nuit.

Comportement et adaptabilité

Bien que la plupart des chercheurs aient conclu que l’oreillard maculé gîte solitairement, sa structure sociale demeure inconnue, et il se peut que l’espèce gîte seule ou en petits groupes. Les données limitées montrent que les individus ne vivent pas en grands groupes. Évidemment, les signaux d’écholocation servent aussi à la communication et les oreillards maculés réagissent fortement aux signaux d’autres individus (Obrist, 1995). Quand ils sont en quête de nourriture, des vocalisations agonistiques sont produites en réponse aux intrus qui pénètrent dans leur aire d’alimentation (Leonard et Fenton, 1983; Storz, 1995). Certains chercheurs (Easterla, 1973) ont observé des poursuites en vol. Malgré la tendance des oreillards maculés vivant à proximité les uns des autres à espacer leurs aires d’alimentation, la territorialité de l’espèce n’est pas évidente. Si Leonard et Fenton (1983) ont conclu que les individus gardaient des territoires d’alimentation exclusifs, séparés les uns des autres d’au moins 50 m, Wai-Ping et Fenton (1989) ont observé de leur côté d’importants chevauchements des aires d’alimentation d’individus voisins.

Capable de s’immiscer dans les petits crevasses et ouvertures des affleurements rocheux et de grimper sur des parois rocheuses verticales (Poché, 1975), l’oreillard maculé est bien adapté pour gîter dans des crevasses. Garcia et al. (1995) ainsi que Sarell et Haney (2000) ont noté que l’espèce était intolérante au bruit et aux perturbations dans son gîte. Toutefois, la plupart de ces observations sont anecdotiques. L’oreillard maculé fait preuve d’adaptabilité dans l’utilisation de son habitat d’alimentation : il peut se nourrir dans des habitats perturbés, par exemple les champs cultivés et les terrains de golf (Leonard et Fenton, 1983; Gitzen et al., 2001). 

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