Noctuelle sombre des dunes (Copablepharon longipenne) évaluation et rapport de situation du COSEPAC : chapitre 7

Habitat

Besoins en matière d’habitat

Le C. longipenne est associé aux dunes actives et aux creux de déflation à couvert végétal clairsemé. Il est considéré comme un spécialiste de l’habitat parce qu’il se trouve uniquement dans ce type d’habitat particulier. Durant les échantillonnages effectués en 2004–2005, le plus grand nombre d’adultes récupérés aux pièges (jusqu’à 142 individus par piège) a été enregistré parmi des dunes exposées dont plus de 75 p. 100 de la surface était dénudée. Aucun individu n’a été capturé dans les zones de dunes stables ou semi-stables, sauf lorsque ces dernières étaient adjacentes à une dune active. Des observations du comportement de ponte réalisées sur le terrain en 2004-2005 laissent sous-entendre que la présence de zones de sable dénudées est importante pour la reproduction. Des femelles ont été observées en train de pondre sur la face sous le vent de dunes actives ou d’autres zones de dépôt. Le dépôt de sable contribue peut-être à prévenir l’exposition ou la prédation des œufs. Le transport éolien du sable est considéré comme un processus essentiel au maintien de l’habitat du C. longipenne.

Les substrats dans les dunes actives du sud des Prairies canadiennes sont composés de particules de sable fines ou modérément fines et contiennent de faibles quantités de limon et d’argile (moins de 8 p. 100de la masse totale) et moins de 0,5 p. 100de matière organique, et leur pH est modérément élevé (de 8,1 à 8,3) (Hullett et al., 1966). La capacité de rétention utile de ces substrats est très faible, et seules des plantes spécialisées peuvent s’y établir et y croître. Ces sols sont classés dans le grand groupe des régosols dans le système canadien de classification des sols.

Les dunes forment des îlots d’habitat distincts. Si l’apport de sable et le transport éolien du sable sont faibles ou si la colonisation par la végétation est rapide, les dunes actives sont petites et dispersées. On ignore quelle taille minimale une dune ou un groupe de dunes doit avoir pour assurer la persistance d’une population de C. longipenne. Des individus ont été capturés parmi des dunes isolées d’environ 0,5 ha dans les Cramersburg Sand Hills (Saskatchewan) et à Dune Point (Alberta). À la plupart des endroits où le C. longipenne a été capturé, le paysage de prairies sèches comporte des dunes actives ou des creux de déflation (figure 5).


Figure 5 : Caractéristiques des habitats de dunes : a) pare-feu avec zone de sable dénudée (Dundurn Sand Hills, Saskatchewan); le C. longipenne y était abondant; b) creux de déflation semi-stabilisé (Dundurn Sand Hills, Saskatchewan); aucun C. longipenne n’y a été capturé; c) bord de dune (Seward Sand Hills, Saskatchewan); le C. longipenne y était abondant; d) prairie sèche adjacente à une dune exposée (Great Sand Hills, Saskatchewan); aucun C. longipenne n’y a été capturé; e) complexe de dunes actives avec couvert de psoralée lancéolée et d’élyme du Canada sur sa face sous le vent (Cramersburg Sand Hills, Saskatchewan); le C. longipenne y a été capturé; f) bord de dune active à couvert végétal clairsemé (Burstall Sand Hills, Saskatchewan) colonisé par la psoralée lancéolée et la patience veineuse (site non échantillonné en 2004–2005, mais le C. longipenne y avait été observé précédemment à plusieurs reprises)

Figure 5. Caractéristiques des habitats de dunes.

Photos : N.A. Page (a, b : août 2004; de c à f : juillet 2005).

Les plantes et les communautés végétales associées aux dunes actives et aux abords de dunes à couvert végétal clairsemé du sud des Prairies canadiennes ont été décrites par Hullett et al. (1966), Epp et Townley-Smith (1980), Radenbaugh (1988), Coenen et Bentz (2003) et Gerry et Anderson (2003). Les plantes présentant des adaptations aux sols secs et pauvres en éléments nutritifs des dunes actives incluent la psoralée lancéolée (Psoralea lanceolata Pursh), des agropyres (Agropyron spp.), la stipe à glumes membraneuses (Achnatherum hymenoides (Roemer et J. A. Schultes) Barkworth), l’élyme du Canada (Leymus canadensis L.), la calamovilfa à feuilles longues (Calamovilfa longifolia (Hook.) Scribn.), la koelérie à crêtes (Koeleria macrantha (Ledeb.) J. A. Schultes), le sporobole à fleurs cachées (Sporobolus cryptandrus (Torr.) Gray), l’herbe-squelette commune (Lygodesmia juncea (Pursh) D. Don ex Hook.), la patience veinée (Rumex venosus Pursh), l’hélianthe des prairies (Helianthus petiolaris Nutt.), le rosier aciculaire (Rosa acicularis Lindl.) et le chalef argenté (Elaeagnus commutata Bernh. ex Rydb.). Un certain nombre de communautés végétales associées aux dunes actives et semi-stables ont été décrites, dont une herbaçaie à patience veineuse du lac Pakowki (Coenen et Bentz, 2003), une association clairsemée stipe à glumes membraneuses–élyme du Canada (Wallis, 1980, in Allen, 2004), ainsi que deux herbaçaies mixtes des Great Sand Hills,caractéristiques des collines de sable et dominées respectivement par le sporobole à fleurs cachées et le calamovilfa à feuilles longues(Gerry et Anderson, 2003). D’autres échantillonnages et analyses s’imposent pour élaborer une classification exhaustive de la végétation des dunes dans les Prairies canadiennes.

Fauske (1992) mentionne que le C. longipenne est souvent associé à la steppe à boutelou-stipe-agropyre et qu’il a été trouvé dans des milieux exposés au vent.


Tendances en matière d’habitat

Les dépôts de sable sont répandus dans le sud des Prairies canadiennes. Wolfe (2001) a cartographié 5 900 km2 de dépôts éoliens (sable ou limon transporté par le vent) dans la portion des Prairies canadiennes où le C. longipenne est présent. Les dunes actives y sont toutefois rares. D’après les données présentées par Hugenholtz et Wolfe (2005), les dunes actives occupent 0,5 p. 100de la superficie totale des Tunstall Sand Hills, et respectivement 0,4 p. 100 et 0,2 p. 100de la superficie totale des Seward Sand Hills et GreatSand Hills. Une évaluation de la couverture terrestre a révélé que les dunes actives couvrent moins de 0,5 p. 100de la superficie totale (1 136 km2) des Great Sand Hills, la plus grande et la plus connue des régions de dunes dans les Prairies canadiennes (Saskatchewan Environment and Public Safety, 1991). La plupart des collines de sable sont colonisées par la végétation et exemptes de zones de sable dénudées. Ces zones s’observent uniquement dans des creux de déflation isolés, des tranchées de route et d’autres sites perturbés. Les dépôts de sable dans le sud des Prairies canadiennes sont composés de sédiments fluvioglaciaires, glaciolacustres et deltaïques qui ont été refaçonnés par le vent (David, 1977).

D’après les données d’échantillonnage et les observations de terrain, le C. longipenne semble associé aux dunes actives, mais la stabilisation naturelle des dunes a réduit la superficie de son habitat au Canada. La stabilisation des dunes dans le sud des Prairies canadiennes au cours des cent dernières années est bien documentée (figure 6) (Vance et Wolfe. 1996; Wolfe, 1997; Wolfe et al., 2001; Wolfe et Thorpe, 2005; Hugenholtz et Wolfe, 2005). Le phénomène est modulé par des changements dans les régimes de précipitations régionaux.


Figure 6 : Fluctuations historiques de la superficie des dunes actives dans sept régions de dunes au Canada

Figure 6. Fluctuations historiques de la superficie des dunes actives dans sept régions de dunes au Canada.

Remarque : Brandon North et Brandon South sont appelés « Dunes Spirit » dans le présent rapport; GSH-NW désigne les dunes de la portion nord-ouest des Great Sand Hills, et GSH-WC, les dunes de la portion centre-sud. Figure tirée de Hugenholtz et Wolfe (2005) et reproduite avec la permission des auteurs.

La végétation colonise la surface des dunes durant les périodes de précipitations accrues. À l’opposé, une sécheresse prolongée réduit le couvert végétal et accroît l’activité des dunes (Wolfe et al., 2001). Contrairement à ce qu’on observe dans d’autres écosystèmes dunaires, comme ceux de la côte du Pacifique, la stabilisation des dunes dans les Prairies canadiennes semble un phénomène essentiellement naturel (Wolfe, 2001). Vance et Wolfe (1996) mentionnent que la plupart des champs de dunes du sud de l’Alberta, de la Saskatchewan et du Manitoba ont été colonisés par la végétation à un rythme de 10 à 20 p. 100par décennie. Par exemple, la superficie totale des dunes actives de la portion nord-est des Great Sand Hills a décliné de 207 ha, en 1946, à 161, ha en 1991 (Hugenholtz et Wolfe, 2005). Durant cette même période, le nombre d’îlots de dunes actives a chuté de 340 à 130. Bender et Gummer (2005) ont récemment montré, à l’aide de données d’images aériennes et satellitaires, que les zones de sable dénudées dans les Middle Sand Hills (situées en bordure de la rivière South Saskatchewan, au nord de Medicine Hat) ont décliné à un rythme pouvant atteindre 57 p. 100par décennie. Selon Wolfe (2001), les sécheresses qui ont touché les Prairies canadiennes au cours des années 1930, 1960 et 1980 n’ont pas freiné la stabilisation des dunes par la végétation, mais le réchauffement et l’assèchement actuels du climat dans la région pourraient stimuler l’activité dunaire.

Les espèces végétales envahissantes ne semblent pas contribuer de façon significative à la stabilisation des dunes dans les Prairies canadiennes. Gerry et Anderson (2003) signalent la présence de 18 espèces végétales non indigènes dans la région des GreatSand Hills et mentionnent avoir trouvé au moins 1 espèce exotique dans 91 p. 100 des sites étudiés. Toutefois, peu d’entre elles sont abondantes. Les espèces non indigènes étaient plus communes dans les régions à vocation agricole et dans les pâturages.

Des études géologiques ont également révélé l’existence de fluctuations à plus long terme (plus de 100 ans) de l’activité des dunes dans le sud des Prairies (Wolfe et al., 2001). Des analyses fondées sur la datation optique de grains de sable et la reconstruction des conditions climatiques historiques par examen des cernes d’accroissement des arbres laissent sous-entendre qu’une période de précipitations inférieures à la normale au cours des années 1700 et une sécheresse au cours des années 1790 ont initié une activité généralisée des dunes dans la région. L’augmentation des précipitations qui s’est amorcée au cours des années 1820 a entraîné la restabilisation des dunes dans les Prairies canadiennes (figure 7).


Figure 7 : Tendances à long terme de l’activité dunaire dans le sud des Prairies canadiennes

Figure 7. Tendances à long terme de l’activité dunaire dans le sud des Prairies canadiennes. Le nombre d’âges optiques est une mesure de l’exposition des grains de sable au rayonnement solaire. Figure tirée de Wolfe et al. (2001) et reproduite avec la permission des auteurs.

Le nombre d’âges optiques est une mesure de l’exposition des grains de sable au rayonnement solaire. Figure tirée de Wolfe et al. (2001) et reproduite avec la permission des auteurs.

Les activités d’aménagement comme la construction de routes, d’immeubles, de puits de gaz et de lignes de transport d’énergie ont également contribué à la dégradation de l’habitat du C. longipenne en provoquant des perturbations intenses. Certaines de ces perturbations peuvent toutefois stimuler l’activité des dunes ou entraîner une augmentation de la superficie des zones de sable dénudées dans les collines de sable stabilisées. Par exemple, des noctuelles sombres des dunes ont été capturées dans un pare-feu exempt de végétation dans les Dundurn Sand Hills, au sud de Saskatoon.

Le bétail est autorisé à paître dans la plupart des sites de dunes et des secteurs avoisinants visités en Saskatchewan et en Alberta. Lorsque la pression due au pâturage est faible, ses effets sur l’activité dunaire peuvent être positifs (Hugenholtz et Wolfe, 2005), mais lorsqu’elle est intense, ses effets peuvent être néfastes pour le C. longipenne, parce que les dommages dus au piétinement perturbent la végétation, causent la compactage des sols et peuvent entraîner la destruction des œufs, des chenilles et des chrysalides. L’intensification récente de l’activité dunaire dans certains champs de dunes, comme ceux de la portion nord-est des Great Sand Hills, pourrait être due aux effets localisés d’un accroissement de la pression de pâturage (Hugenholtz et Wolfe, 2005). Les autres activités agricoles ne sont pas considérées comme une menace pour le C. longipenne parce que, comme l’indique l’image satellitaire présentée à la figure 4, les producteurs de céréales ou d’oléagineux ne cultivent généralement pas les sols sableux.

Une augmentation de la fréquence des feux peut également stimuler l’activité dunaire en réduisant le couvert végétal. Historiquement, les feux naturels ou anthropiques étaient probablement plus fréquents dans les Prairies canadiennes (Boyd, 2002). Les effets du feu sur les écosystèmes dunaires demeurent toutefois mal compris.

Les activités récréatives, incluant l’aménagement de sentiers, peuvent entraîner la dégradation de l’habitat du C. longipenne. Lorsqu’elles sont localisées, les perturbations peuvent contribuer au maintien des dunes exposées, mais lorsqu’elles sont importantes et généralisées, elles peuvent entraîner la destruction de la végétation, le compactage des sols et la destruction des œufs, des chenilles et des chrysalides.Un véhicule hors route a été observé dans les Burstall Sand Hills et dans la portion protégée des Great Sand Hills en juillet 2005. La circulation de véhicules hors route était vraisemblablement plus fréquente et plus généralisée dans le passé.


Protection et propriété

La plupart des sites abritant ou susceptibles d’abriter des populations de C. longipenne se trouvent sur des terres publiques, principalement sur des terres provinciales cédées à bail pour le pâturage du bétail. Des détails sur la propriété de ces sites et sur le niveau de protection qui leur est accordé sont présentés au tableau 1. Trois populations connues ou potentielles de C. longipenne se trouvent dans des aires protégées : la Great Sand Hills Representative Area Ecological Reserve, qui a été créée en 2005 et qui inclut le plus grand des champs de dunes actives; les dunes Elbow, dans le parc provincial Douglas Lake (Saskatchewan) (site susceptible d’abriter une population); et le parc provincial Spruce Wood (Manitoba). Une portion de la région du lac Pakowki est un site d’observation de la nature, mais elle ne bénéficie officiellement d’aucune protection. Le statut de propriété des sites abritant des populations de C. longipenneaux États-Unis n’est pas connu.

 

Tableau 1 (Populations connues): Propriété des sites abritant ou susceptibles d’abriter des populations de C. longipenne au Canada et niveau de protection accordé à ces sites.
Population / Localité Province Propriété et niveau de protection
Lethbridge Alb. Présence récente non confirmée; emplacement exact inconnu.
Lac Pakowki (Manyberries) Alb. Province d’Alberta; baux de pâturage.
Onefour, Dominion Range Station Alb. Présence récente non confirmée; emplacement exact inconnu; Sous-station de recherches agricoles de Onefour (gouvernement fédéral).
Sunnydale (Oyen?) Alb. Emplacement exact inconnu (peut-être Dune Point).
Dune Point (Bindloss) Alb. Statut inconnu; terre provinciale cédée à bail pour le pâturage du bétail?
Dunes Spirit Man. Parc provincial Spruce Woods; Ministère de la Défense nationale (BFC Shilo).
Dunes Burstall Sask. Statut inconnu; terre provinciale cédée à bail pour le pâturage du bétail?
Bigstick Sand Hills (Tompkins) Sask. Pâturage collectif de BigStick, ARAP.
Great Sand Hills Sask. Réserve écologique; terre provinciale cédée à bail pour le pâturage du bétail.
Dundurn Sand Hills Sask. Ministère de la Défense nationale (BFC Dundurn); ARAP – Dundurn.
Seward Sand Hills (Webb) Sask. Pâturage collectif de Swift Current-Webb, ARAP.
Cramersburg Sand Hills Sask. Statut inconnu; probablement une terre provinciale cédée à bail pour le pâturage du bétail.

 

Tableau 1 (Populations potentielles): Propriété des sites abritant ou susceptibles d’abriter des populations de C. longipenne au Canada et niveau de protection accordé à ces sites.
Population / Localité Province Propriété et niveau de protection
Tunstall Lake Sand Hills Sask. Pâturage collectif de Bitter Lake, ARAP.
Bigstick Sand Hills Sask. Statut inconnu; terre provinciale cédée à bail pour le pâturage du bétail?
Elbow / lac Douglas Sask. Parc provincial Douglas Lake.
Westerham Sand Hills Sask. Statut inconnu; terre provinciale cédée à bail pour le pâturage du bétail?
Middle Sand Hills Alb. Réserve nationale de faune Suffield; BFC Suffield

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