Esturgeon jaune (Acipenser fulvescens) évaluation et rapport de situation du COSEPAC : chapitre 7

Habitat

Besoins en matière d’habitat

Les données historiques révèlent que l’on observait des esturgeons jaunes dans des rivières et des lacs de grande dimension (p. ex. les Grands Lacs, le lac Winnipeg, le lac Sipiwesk, le grand delta intérieur de la rivière Saskatchewan à Cumberland House, Saskatchewan) et près de l’embouchure de grandes rivières (Dick et Macbeth, 2003). Il est toutefois important de noter que la concentration d’esturgeons jaunes à l’embouchure des rivières est un phénomène de courte durée associé au frai; durant le reste de leur cycle vital, les esturgeons jaunes se dispersent dans les grands lacs ou les grands systèmes riverains.

On dispose de peu d’information détaillée et récente sur l’utilisation de l’habitat par l’esturgeon jaune. Les adultes occupent les rivières et les lacs de grande taille, généralement à des profondeurs de cinq à dix mètres, sur des substrats de boue, d’argile, de sable ou de gravier (Lane et al., 1996b; Page et Burr, 1991; Nilo, 1996). On les observe habituellement à des profondeurs supérieures à dix mètres dans la rivière Winnipeg (Erickson, comm. pers.). Lane et al. (1996b) indiquent que les esturgeons jaunes des populations des Grands Lacs sont généralement associés à des substrats de limon et rarement avec des substrats de gravier ou de sable. Le type de substrat est considéré comme important, puisque l’espèce se nourrit d’invertébrés benthiques (vivant au fond de l’eau). Par contre, les études de Choudhury et al. (1995) ont révélé que les esturgeons se nourrissent également d’espèces pélagiques (vivant dans la colonne d’eau plutôt qu’au fond) du genre Daphnia, tandis que d’autres études ont constaté que certains individus passent jusqu’à 70 p. 100 du temps dans la colonne d’eau, ce qui suggère qu’une part du régime alimentaire est de nature pélagique (Dick, 2004). Seyler (1997a) indique que l’esturgeon jaune tend à peu utiliser les habitats où la vélocité de l’eau excède 70 cm/s.

Les habitats de frai se trouvent en eau vive, généralement sous des chutes, des rapides ou des barrages, et sur un substrat d’argile durci, de sable, de gravier, de blocaille, de galets ou de blocs rocheux (Lane et al., 1996c). Dans la rivière des Prairies, ces habitats sont couverts d’un mélange de pierres dont la taille varie du gravier fin ou moyen aux blocs rocheux (LaHaye et al., 1992). Les frayères peuvent également se trouver aux abords des rivières, sur des roches sédimentaires plates et en pente douce ou sur un perré nouvellement déposé (Dick, données inédites). Dans la plupart des rivières fréquentées pour le frai, des chutes limitent les migrations vers l’amont; ainsi, les frayères sont souvent rares pour les populations lacustres d’esturgeons. LaHaye et al. (1992) ont observé que les esturgeons jaunes de la région de Montréal utilisent une grande variété de substrats durs pour le frai et, selon les conditions hydrologiques, peuvent utiliser des frayères artificielles. La profondeur de l’eau au niveau des frayères est assez variable, mais est généralement d’un à six mètres (LaHaye et al., 1992; Lane et al., 1996c; Scott et Crossman, 1998). On a observé des femelles pondant leurs œufs dans un mètre d’eau à Landing River, dans le nord du Manitoba, et dans la rivière Embarass, au Wisconsin (Dick, 2004). Manny et Kennedy (2002) ont décrit des habitats de frai à des profondeurs variant de 9 à 12 m dans les canaux reliant les lacs Huron et Érié. Un grand site (3,6 ha) a été récemment découvert dans les rapides de Lachine (fleuve Saint-Laurent) à Montréal. L’oviposition était maximale dans les eaux profondes et claires (jusqu’à 7 m), à une vélocité moyenne de la colonne d’eau variant de 1 à 2 m/s, sur un gravier de taille fine à moyenne, avec un mélange de roches et de grosses roches (LaHaye et al., 2004). Des femelles mûres ont été capturées à des profondeurs pouvant atteindre 10 m dans les rivières Winnipeg et Pigeon, sous des rapides et des chutes de grande taille, quoique généralement dans des remous un peu en retrait du courant principal (Dick, 2004). Haxton (2006) rapporte un phénomène semblable dans la rivière des Outaouais, sous la centrale électrique de la Chute-des-Chats, où des esturgeons en frai ont été capturés aux abords du canal principal, là où le courant est modéré. Barth et MacDonnell (1999) ont observé des esturgeons en frai sous des rapides dans la rivière Weir, un tributaire de la rivière Nelson dans le nord du Manitoba, en 1997 et en 1998. L’emplacement des frayères variait d’une année à l’autre selon les conditions du courant, lesquelles dépendaient de la décharge de la rivière Weir et de l’état de la rivière Nelson (c.-à-d. le cycle annuel du volume et du débit, lesquels varient dans le temps et en amplitude d’une année à l’autre en fonction de nombreux facteurs comme la pluie et l’accumulation de neige).

L’habitat des juvéniles de l’année semble diversifié. Ils ont été observés reposant sur des flèches de sable, du gravier fin et des galets (Peake, 1999). Seyler (1997a) a observé des juvéniles de l’année sur du sable lisse et des substrats graveleux à moins d’un mètre de profondeur. Lane et al. (1996a) indiquent que les juvéniles de l’année préfèrent se maintenir à une profondeur de 2,5 à 5 m et plus. Ils sont toujours associés à la présence de sable et de limon, souvent associés à la blocaille et au gravier et rarement associés à la végétation. Dans le cours inférieur de la rivière Peshtigo (un tributaire du lac Michigan), les juvéniles de l’année fréquentent des habitats caractérisés par un substrat sableux, un faible courant et un assortiment de macro-invertébrés avec prédominance de diptères. L’étude des déplacements révèle qu’une baisse de la température de l’eau durant les mois d’automne incite les esturgeons à aller en aval. Exception faite de la migration automnale, le domaine vital est restreint (moins de 500 m dans l’axe riverain), les individus demeurant au même endroit pendant plusieurs jours, voire des semaines. Les juvéniles de l’année sont plus actifs après la tombée de la nuit (Benson et al., 2005). Dans le lac Black (Michigan), les esturgeons jaunes d’un an fréquentent des habitats à deux profondeurs moyennes distinctes (un habitat près des berges et un habitat profond loin des berges), tandis que les juvéniles fréquentent un habitat profond et au fond plat, éloigné des berges. Les poissons d’un an sont associés à des substrats sableux et organiques et les juvéniles à des substrats organiques (Smith et King, 2005).

En automne, dans le fleuve Saint-Laurent, les captures de juvéniles sont plus fréquentes dans les sites au-dessus de fonds argileux et graveleux, à faible profondeur (3 à 6 m) et dans des courants modérés (0,25 à 0,5 m/s). En été, ils sont observés à plus grande profondeur (6,1 à 9,0 m) et en eaux plus vives (0,5 à 0,75 m/s). Les captures par unité d’effort sont plus élevées sur un substrat graveleux (Nilo, 1996).


Tendances en matière d’habitat

Les répercussions de la destruction de l’habitat sur les populations d’esturgeons jaunes sont mal documentées; on considère que la perte de l’habitat a joué un rôle beaucoup moins important que la surpêche dans le déclin de la population de l’espèce. D’ailleurs, bon nombre des populations avaient déjà été réduites à l’état de vestige avant l’arrivée des grandes perturbations environnementales qui ont touché l’habitat des esturgeons jaunes. Depuis les effondrements démographiques historiques, les systèmes riverains des Prairies ont subi une grave dégradation de l’habitat causée par l’irrigation et la construction de barrages, lesquelles ont diminué le débit et la qualité de l’eau. Les fluctuations du débit du delta de Cumberland à la suite de la construction d’un barrage sur la rivière Saskatchewan ont eu des effets négatifs sur les populations d’esturgeons jaunes en aval du barrage. La construction du barrage Lockport sur la rivière Rouge, aux fins de navigation, ainsi que la modification du régime hydrologique annuel dans le but de maximiser les réserves d’eau au printemps dans la rivière Assiniboine, ont probablement amenuisé la capacité de ces rivières à accueillir des migrations de frai. Dans d’autres rivières, comme la rivière Roseau, la construction de fossés de drainage s’est traduite par une augmentation du débit de l’eau et des sédiments en suspension au printemps durant la saison de frai et par une diminution du débit après les inondations printanières. Il s’ensuit une baisse du niveau de l’eau après le frai, ce qui réduit d’autant l’abondance de l’habitat d’alimentation des juvéniles. De façon générale, les ouvrages de retenue ont modifié les régimes hydrologiques et détruit des habitats vierges (figure 13). Des études menées dans la rivière Winnipeg révèlent qu’il existe une corrélation positive entre la répartition de l’esturgeon jaune, en particulier des juvéniles, et un habitat riverain non modifié (Dick, 2004). Le bassin de la rivière Moose est l’un des systèmes riverains les plus fragmentés en Amérique du Nord, mais l’incidence globale sur les populations d’esturgeons jaunes de la région est inconnue (Seyler, 1997a). Les incidences combinées de la surexploitation, de l’industrialisation croissante, de la pollution, des invasions d’espèces et de la perte de l’habitat dans la région des Grands Lacs font en sorte qu’il est difficile de déterminer les relations actuelles de cause à effet chez les populations d’esturgeons jaunes.


Figure 13 : Emplacement des barrages et des obstacles dans l’aire de répartition canadienne de l’esturgeon jaune

Figure 13 : Emplacement des barrages et des obstacles dans l’aire de répartition canadienne de l’esturgeon jaune (carte fournie par Ron Hempel).

Carte fournie par Ron Hempel.

La fragmentation de l’habitat est une préoccupation majeure pour ce poisson migrateur d’une grande longévité qui fréquente une variété d’habitats durant sa vie (Robitaille et al., 1988; Auer, 1996a). Dans le fleuve Saint-Laurent, de récentes pêches expérimentales confirment que le groupe d’esturgeons du lac Saint-François, en amont du lac Saint-Louis, considéré comme en déclin durant les années 1940 (Cuerrier et Roussow, 1951), 1960 (Joliff et Eckert, 1971) et 1980 (Dumont et al., 1987) demeure très peu abondant. Les études de marquage menées durant les années 1940 indiquent que l’esturgeon jaune était, à l’époque, en mesure de migrer le long du fleuve Saint-Laurent, depuis la ligne de démarcation des eaux saumâtres au moins jusqu’à Brockville, en Ontario (Roussow, 1955b). Le déclin du groupe d’esturgeons du lac Saint-François peut être attribué aux effets combinés de la construction graduelle de barrages aux deux extrémités du lac entre 1912 et 1958 (Morin et al., 1998) et à la surpêche de la population résiduelle.

 

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