Lotier à feuilles pennées (Lotus pinnatus) évaluation et rapport de situation du COSEPAC : chapitre 10

Facteurs limitatifs et menaces

La perte d’habitat constitue une menace grave et urgente pour le Lotus pinnatus au Canada. Une demande a été déposée pour l’aménagement d’un terrain de caravaning sur les plaines Harewood, qui abritent la seule population importante de L. pinnatus au Canada. Environ 25 à 30 p.100 des individus présents à cet endroit risquent ainsi de disparaître. Le propriétaire a demandé une approbation préliminaire d’implantation (Preliminary Layout Agreement), et la Ville de Nanaimo a exigé un inventaire environnemental de la propriété (Lawrance, comm. pers., 2003). Cependant, si l’inventaire de la végétation est effectué à une période de l’année où les plantes rares ne sont pas visibles, leur présence risque fortement de passer inaperçue.

La population de Lotus pinnatus des plaines Harewood est également menacée de manière directe et immédiate par la dégradation de son habitat liée à l’utilisation intensive de véhicules tout-terrain à des fins récréatives. Le L. pinnatus semble pouvoir tolérer une certaine perturbation, mais les sols minces des plaines Harewood et du site no 7 (à Nanaimo, au sud d’Extension) risquent d’être endommagés par les activités récréatives actuelles. Dans certains secteurs des plaines Harewood, le sol mince et fragile a été lacéré jusqu’au substratum, et des plantes ont été arrachées et laissées sur le roc nu, où elles ne peuvent plus s’enraciner (figure 4). De plus, cette dégradation risque fortement de se poursuivre.


Figure 4 : Destruction de l’habitat par les véhicules tout-terrain, dans les plaines Harewood

Figure 4 : Destruction de l’habitat par les véhicules tout-terrain, dans les plaines Harewood (photo prise par G.W. Douglas le 29 juin 2003).

Photo prise par G.W. Douglas le 29 juin 2003.

Le compactage du sol peut endommager ou même détruire le système racinaire du Lotus pinnatus, et la perturbation de l’écoulement des eaux souterraines peut aussi menacer à long terme la survie de l’espèce. Or, les véhicules tout-terrain continuent de pénétrer régulièrement dans le site, dont on a pourtant essayé de restreindre l’accès en installant plusieurs barrages de béton le long du chemin qui y mène (Thurkill, comm. pers., 2003).

L’usage récréatif de véhicules tout-terrain produit beaucoup de poussière, qui se dépose sur les fleurs et nuit à la pollinisation. Dans le cas des plaines Harewood, cette activité a aussi entraîné une fragmentation de l’habitat de l’espèce. Dans les secteurs où les véhicules passent dans les terrains suintants, les plantes ont été endommagées, et les populations ont été scindées. Or, lorsqu’une population auparavant continue devient ainsi divisée en plusieurs petits groupes isolés, les croisements ne peuvent plus se produire entre ces petites populations, ce qui restreint de manière générale les échanges de gènes et la variabilité génétique. Il en résulte également une réduction de la capacité de l’espèce à coloniser les milieux disponibles (McPhee et al., 2002). On ne sait pas combien d’individus sont nécessaires au maintien d’une population viable de Lotus pinnatus, mais on estime généralement qu’il faut environ 5 000 individus pour assurer la variabilité génétique nécessaire à l’adaptation et à l’évolution (Culotta,1995; Lande, 1995). Lorsque l’effectif d’une population tombe en deçà de 1 000 individus, on observe une accumulation d’allèles délétères qui peut finir par entraîner un déclin de la population, ou même sa disparition. Donc, pour obtenir une variabilité génétique et écologique maximale et prévenir les conséquences d’une population trop petite, il faut maintenir un effectif réel d’au moins 5 000 individus (Culotta, 1995; Lande, 1995).

Plus de 99 p.100 de la population canadienne actuelle de Lotus pinnatus est située sur des terres privées, ce qui expose l’espèce aux pertes d’habitat dues à l’urbanisation et au développement domiciliaire. La population humaine du District régional de Nanaimo est passée de 77 624 habitants, en 1981, à 127 016 habitants, en 2001, et on prévoit qu’elle atteindra 219 321 habitants en 2026, ce qui représente un taux de croissance annuel d’environ 2,9 p.100 et une augmentation totale de 73 p.100 de 1981 à 2026 (BC Statistics, 2003).

Dans le District régional de Nanaimo, le marché immobilier a connu en 2002-2003 une croissance supérieure à la moyenne, en raison des faibles taux hypothécaires et de la confiance des consommateurs dans les perspectives économiques de la province. À Nanaimo, selon la Société canadienne d’hypothèques et de logement (CMHC, 2003), les mises en chantier avaient augmenté de 57,7 p.100 au premier trimestre de 2003, par rapport au premier trimestre de 2002. Cette tendance devrait se poursuivre pendant toute l’année 2003, car le volume des ventes est soutenu par la rareté des maisons en Colombie-Britannique et par la forte demande des consommateurs (CMHC, 2003). Bien que le terrain soit rocheux, les plaines Harewood présentent un bon potentiel de développement domiciliaire, en raison des vues panoramiques qu’elles offrent sur le paysage des environs.

Après la destruction de l’habitat, la principale menace actuelle pour le Lotus pinnatus, dans tous ses sites canadiens, est la compétition exercée par les autres espèces végétales, qu’elles soient indigènes ou exotiques. L’empiètement des arbustes indigènes sur les milieux propices au L. pinnatus peut empêcher cette espèce d’occuper de nouveaux endroits. La survie de l’espèce est en outre menacée par plusieurs graminées exotiques très envahissantes, dont l’Anthoxanthum odoratum, le Dactylis glomerata, le Poa pratensis et le Bromus sterilis. L’arbuste exotique qui tend le plus à dominer est le Cytisus scoparius. En monopolisant l’eau et les éléments nutritifs disponibles et en réduisant la lumière atteignant le sol, de nombreuses espèces exotiques peuvent concurrencer avec succès les espèces indigènes et réduire leur capacité de se maintenir dans les prés dégagés. À mesure que les espèces envahissantes deviennent de plus en plus dominantes, elles peuvent modifier les processus écosystémiques en produisant une grande quantité de litière riche en azote, en modifiant le régime d’incendie par leur forte inflammabilité et en accentuant le déficit hydrique du sol (D’Antonio et Vitousek, 1992).

Dans les plaines Harewood, les travaux d’exploitation forestière réalisés à moins de 50 m des populations de Lotus pinnatus risquent de favoriser la propagation des plantes envahissantes indigènes et exotiques. Les environs de plusieurs sous-populations de L. pinnatus des plaines Harewood ont été envahis par des douglas, sans doute favorisés par l’élimination des incendies. Si on laisse ces arbres pousser, ils risquent de modifier la flore du pré de graminées en réduisant la superficie dégagée pouvant servir d’habitat au L. pinnatus et aux autres espèces qui tolèrent peu l’ombre. Les populations de L. pinnatus sont également menacées par les plans d’exploitation forestière et les autres mesures d’aménagement qui exposeraient leur habitat à de longues périodes d’insolation directe et d’évaporation rapide. Les véhicules tout-terrain favorisent également de manière importante la propagation des plantes exotiques et leur établissement dans les zones sensibles, en transportant les graines de ces plantes et en perturbant le sol de ces zones. Au Montana, une étude a montré qu’un véhicule tout-terrain, en un seul déplacement, peut transporter 2 000 graines de centaurée sur une distance de 16 km (Lacey et al., 1997).

Bien qu’on n’en connaisse pas tous les détails, les besoins particuliers du Lotus pinnatus en matière d’habitat montrent clairement que l’établissement, la croissance et la dissémination de cette espèce exigent des conditions assez précises. La faible étendue des milieux propices constitue donc un facteur très limitant pour l’espèce dans toute son aire de répartition connue.

 

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