Chouette tachetée du nord (Strix occidentalis caurina) programme de rétablissement : chapitre 16

13. Considérations socio-économiques

L’équipe de rétablissement de la Chouette tachetée est consciente que le manuel de rétablissement du RESCAPÉ (GUIRR, 2003) n’exige pas qu’on intègre une analyse socio-économique détaillée au programme de rétablissement car l’évaluation du caractère réalisable du rétablissement doit se fonder uniquement sur les aspects biologiques et non sur les aspects économiques. Les analyses socio-économiques doivent plutôt être faites durant l’élaboration des plans d’action du rétablissement, auxquels elles seront intégrées, après que le programme a établi le caractère réalisable du rétablissement sur le plan biologique et technique. Toutefois, vu l’ampleur des coûts et des impacts éventuels des mesures de rétablissement (ou de l’absence de telles mesures) pour cette espèce en Colombie-Britannique, on a jugé prudent d’incorporer, au niveau du programme, une description de l’échelle, de la portée et de l’emplacement des impacts. Il sera également important, mais sans doute plus difficile, d’établir la valeur des bénéfices du rétablissement, tant en termes économiques qu’en termes d’évitement de la disparition d’une espèce indigène. Nous tentons, dans les sections qui suivent, de présenter sommairement certains aspects des coûts et des avantages socio-économiques du rétablissement de la Chouette tachetée en Colombie-Britannique. Cette analyse servira à orienter les analyses socio-économiques plus détaillées que fera l’équipe de rétablissement au moment de définir et d’évaluer les mesures de rétablissement possibles.

 

A)  COÛTS

On peut répartir les coûts du rétablissement entre diverses catégories selon qu’il s’agit des coûts d’une meilleure protection de l’habitat, de ceux de l’établissement et de la mise en œuvre des activités d’accroissement de la population, de ceux des activités visant à améliorer la survie et le recrutement de l’espèce, et de ceux qui sont associés à la réalisation des inventaires et des recherches nécessaires.

Développement de la protection de l’habitat

La protection de l’habitat est un enjeu majeur dans la totalité de l’aire de répartition de l’espèce. En effet, la Chouette tachetée n’a aucune chance de se rétablir si l’on ne conserve pas suffisamment d’habitat convenable judicieusement réparti dans l’ensemble de son aire de répartition. Une partie de l’habitat situé cette aire de répartition est considérée non récupérable. La majeure partie de ce territoire, limitée surtout à l’habitat urbain et rural de la vallée du bas Fraser, appartient à des intérêts privés ou à des municipalités et ne peut réalistement être convertie en habitat convenable pour la Chouette tachetée. Une exception de taille : les bassins versants de Capilano, de Seymour et de Coquitlam dans le District régional de Vancouver. Vastes étendues d’habitats boisés situées au nord de la ville de Vancouver, ces bassins sont gérés de façon à protéger les approvisionnements en eau du Grand Vancouver, et sont déjà inclus dans le Plan de gestion de la Chouette tachetée; ils ne nécessitent donc pas de protection supplémentaire.

Comme la Chouette tachetée a besoin de vastes superficies de forêts anciennes pour se reproduire, se nourrir et se disperser, c’est le secteur forestier, notamment le programme de vente de bois de la Colombie-Britannique (British Columbia Timber Sales Program), qui devrait être le plus durement touché par la protection accrue de l’habitat, à cause des impacts sur le territoire de base récoltable (Timber Harvesting Land Base [THLB]) et sur l’approvisionnement en bois. Ces impacts potentiels seront toutefois limités aux parties des circonscriptions forestières de Squamish, de Chilliwack et des Cascades qui se trouvent dans l’aire de répartition de l’espèce. Il importe par ailleurs de souligner qu’en termes de nombre total d’hectares supplémentaires mis en réserve, les impacts sur le secteur forestier pourraient être moindre que prévus. En effet, 363 000 ha sont déjà gérés pour la Chouette tachetée dans les circonscriptions forestières de Squamish et de Chilliwack en vertu de l’actuel plan de gestion. Aucun habitat n’est réservé dans la région de Lillooet, dans la circonscription forestière des Cascades, qui abrite actuellement plusieurs territoires actifs. Toutefois, le projet de plan de gestion des terres et des ressources (Land and Resource Management Plan [LRMP]) pour cette région prévoit réserver des habitats à la gestion de la Chouette tachetée, ce qui permettra d’incorporer la plupart de ces territoires. En théorie, si l’on ajoute les habitats réservés par le plan de gestion des terres et des ressources aux superficies déjà prévues dans le plan de gestion de la chouette, selon l’importance des chevauchements qui peuvent être incorporés par le regroupement des territoires adjacents, il pourrait s’avérer inutile d’ajouter beaucoup plus de terrains pour obtenir le territoire nécessaire à l'atteinte du but de 250 chouettes adultes fixé par le programme de rétablissement (en posant que cela équivaut à peu près à 125 couples ou territoires). Le réseau actuel des zones de conservation est toutefois très fragmenté et le plan d’action final pour l’habitat pourrait exiger une reconfiguration spatiale de ces zones, et notamment l’aménagement de couloirs pour les relier de façon à favoriser la dispersion des oiseaux entre elles ainsi que vers les populations des États-unis, au sud. Les efforts de modélisation en cours devraient aider à trouver la meilleure façon d’aménager ces zones de conservation dans le paysage et à établir le meilleur échéancier pour le faire. La modélisation pourrait également aider à déterminer et à comparer les impacts de différents scénarios de paysage sur l’industrie du bois. À court terme, il faudra vraisemblablement adopter quelques mesures de protection supplémentaires pour protéger les habitats de survie (les secteurs qui abritent des sites occupés connus), mais d’autres changements pourraient être incorporés selon un échéancier plus long.

Parmi les autres activités d'aménagement susceptibles d’être perturbées, quoique à un degré moindre, par les mesures de protection figurent les exploitations minières, les aménagements hydroélectriques (p. ex. lignes haute tension, barrages), les projets récréatifs (p. ex. expansion des centres de ski) et les aménagements urbains et ruraux (p. ex. routes, logements, expansion du territoire agricole). Enfin, la plus grande partie de l’aire de répartition de la Chouette tachetée fait l’objet, d’une façon ou d’une autre, de revendications territoriales des Premières Nations, et les habitats convenables chevauchent parfois des réserves indiennes. On ignore quel impact pourra avoir le règlement des revendications des Premières Nations sur les mesures de protection de l’habitat.

Accroissement de la population

Si la protection de l’habitat est essentielle au rétablissement de l’espèce, les mesures d’accroissement de la population pourraient par ailleurs avoir un impact significatif sur le degré de rétablissement qui sera atteint ainsi que sur le rythme avec lequel il se fera. Compte tenu de la population restreinte rapportée par les estimations actuellement disponible en Colombie-Britannique, certaines mesures d’accroissement de la population pourraient s’avérer nécessaires pour prévenir la disparition de l’espèce à court terme. Ces programmes d’accroissement pourraient être mis en œuvre n’importe où dans l’aire de répartition de l’espèce, mais viseraient surtout les régions où les populations semblent avoir subitement disparu, ou dans celles où l’on croit que des oiseaux survivent seuls sans guère de chances de trouver un partenaire.

Comme nous l’avons déjà mentionné, les trois approches d’accroissement de la population énumérées ci-dessous sont considérées réalisable, mais à chacune sont associés des coûts particuliers. Voici un bref aperçu des coûts dont devra tenir compte l’évaluation socio-économique :

De surcroît, avant d’adopter l’une ou l’autre de ces approches, il faut élaborer des stratégies pour évaluer les méthodes existantes, l’expérience antérieure, le personnel et le matériel nécessaires, et les chances de succès. Des membres de l’équipe de rétablissement de la Chouette tachetée, des employés du ministère de l'environnement ainsi que des entrepreneurs peuvent œuvrer au sein de ces programmes. Il faudrait aussi former des partenariats avec des établissements privés pour élever et abriter les oiseaux. Certaines de ces mesures peuvent nécessiter de prendre des engagements à long terme à l’égard des établissements, des employés et du financement.

Augmentation de la survie

Une autre approche serait d'essayer d'assurer la survie des oiseaux existants et d'accélérer le rétablissement de la population en tentant d’augmenter la survie des oiseaux à l’état sauvage. Les deux méthodes suggérées dans le programme de rétablissement sont le contrôle des prédateurs et des compétiteurs, et l’alimentation hivernale. Ces méthodes pourraient être appliquées aux oiseaux sauvages existants partout où on sait qu’il y en a, et/ou à toute région où des chouettes ont été déplacées ou introduites.

Le contrôle des prédateurs et des compétiteurs peut soulever la controverse, mais est techniquement réalisable et pourrait être justifié dans les régions où des efforts considérables ont déjà été faits à fort coût pour introduire et déplacer des individus. Il ne serait probablement ni économiquement réalisable, ni socialement acceptable de lancer un programme de contrôle à long terme dans tous les territoires de l’aire de répartition de la Chouette tachetée. Les coûts associés à cette activité seraient les coûts liés à l’embauche de personnes qui seraient à la fois capables et désireuses de localiser et de détruire les espèces prédatrices et compétitives dans les secteurs désignés.

On peut aussi nourrir les juvéniles en hiver pour les aider à passer leur premier hiver (réputé être la période de plus forte mortalité), mais il faut d’abord localiser les jeunes oiseaux et les équiper d'émetteurs radio qui permettent de les suivre pendant l’hiver pour leur apporter des aliments. Cela entraîne divers coûts associés au travail d'employés et de contractuels, à l’acquisition des émetteurs radio, à la location d’hélicoptère, et à l’acquisition des aliments convenables. Si elle donne des résultats probants, cette approche pourrait s’avérer une approche des plus rentables.

Recherche et inventaire

Pour s’assurer que les mesures de rétablissement recommandées sont basées sur les meilleures données scientifiques disponibles et ont les meilleures chances d’atteindre le but du rétablissement, des recherches et des inventaires sont nécessaires. Il faut recourir à la modélisation pour déterminer la meilleure organisation spatiale de l’habitat dans le paysage et les facteurs démographiques qui doivent faire l’objet d’une attention prioritaire. La recherche aidera à mieux comprendre les rapports entre les chouettes, leur habitat, leurs proies et leurs compétiteurs, ce qui permettra d’élaborer de meilleures approches de gestion pour traiter les problèmes. Un inventaire s’impose par ailleurs pour repérer et surveiller les chouettes et leurs sites de nidification dans le cadre des activités de protection de l’habitat, d’accroissement de la population et d’amélioration de la survie identifiées plus haut, de même que pour évaluer le succès des activités de rétablissement. Plus on financera les activités de recherche et d’inventaire, meilleures seront les données scientifiques à notre disposition. On trouvera à l’annexe 2 une liste préliminaire des sujets de recherche. Ces activités de recherche et d’inventaire pourraient être menées n’importe où dans l’aire de répartition de la chouette et faire appel aux membres de l’équipe de rétablissement de la Chouette tachetée, à des scientifiques du gouvernement et de l’industrie, à des chercheurs universitaires et à des contractuels. On pourrait en partager les coûts en formant des partenariats, en créant un fonds de rétablissement de la Chouette tachetée et en faisant appel à divers organismes de financement.

 

B)  BÉNÉFICES

Il sera probablement beaucoup plus difficile d’établir la valeur économique et les bénéfices du rétablissement de la Chouette tachetée que d’en évaluer les coûts, en partie parce qu’une de ses retombées sera de réduire la probabilité d’éventuelles mesures punitives et qu’il est très difficile d’établir la valeur de quelque chose qui ne se produit pas, et en partie parce qu’il est aussi très difficile d’attribuer une valeur économique à une notion abstraite comme l’évitement de la disparition d’une espèce (bien qu’on ait déjà tenté de le faire). Néanmoins, il est tout à fait possible que les bénéfices à long terme du rétablissement d’une espèce l’emportent sur ses coûts à court terme. Parmi les bénéfices à considérer, mentionnons les suivants :

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