Mouette blanche (Pagophila eburnea) programme de rétablissement 2014 : chapitre 8

4. Menaces

La menace la plus importante qui pèse sur la Mouette blanche est la chasse illégale au Groenland (COSEPAC, 2006); mais d'autres facteurs, tels que la prédation des nids, les activités industrielles, les contaminants, les perturbations anthropiques dues aux activités de suivi, les changements climatiques et la pollution par les hydrocarbures peuvent également avoir des répercussions négatives sur les populations (voir tableau 1).

4.1 Évaluation des menaces

Tableau 1 : Tableau d'évaluation des menaces Version accessible du Tableau 1
Menace Niveau de préoccupation1 Étendue Occurrence Fréquence Gravité2 Certitude causale3
Utilisation des ressources biologiques
Chasse illégale Élevé Localisée Historique, courante Saisonnière Élevée Moyenne
Changements dans la dynamique écologique ou dans les processus naturels
Prédation des nids Élevé Localisée Courante Saisonnière Élevée Élevée
Perturbations ou dommage
Activités industrielles Moyen Localisée Courante, anticipée Saisonnière Modérée Faible
Perturbations anthropiques – activités de suivi Faible Localisée Historique, courante, anticipée Saisonnière Faible Moyenne
Pollution
Contaminants Moyen Généralisée Historique, courante, anticipée Permanente Modérée Faible
Pollution par les hydrocarbures Faible Localisée Historique, courante, anticipée Permanente Inconnue Élevée
Climat et catastrophes naturelles
Changements climatiques Faible Généralisée Courante, anticipée Permanente Inconnue Faible

1 Niveau de préoccupation : signifie que la gestion de la menace représente une préoccupation (élevée, moyenne ou faible) pour le rétablissement de l'espèce, conforme aux objectifs en matière de population et de répartition. Ce critère tient compte de l'évaluation de toute l'information figurant dans le tableau.

2 Gravité : indique l'effet à l'échelle de la population (Élevée : très grand effet sur l'ensemble de la population, modérée, faible, inconnue).

3 Certitude causale : indique le degré de preuve connu sur la menace (Élevée : la preuve disponible établit un lien fort entre la menace et les pressions sur la viabilité de la population; Moyenne : il existe une corrélation entre la menace et la viabilité de la population, p. ex. une opinion d'expert; Faible : la menace est présumée ou plausible).

4.2 Description des menaces

1. La chasse illégale

La Mouette blanche ayant une grande longévité et un faible taux de reproduction annuel, le maintien de la population repose sur un taux de survie annuel élevé des adultes. La mortalité des adultes peut donc réduire considérablement la taille de la population globale, et c’est pourquoi la chasse des oiseaux adultes par les humains constitue un grave problème (Stenhouse et coll., 2004). Au Groenland, la chasse sportive ainsi que les prises de subsistance et les prises commerciales de nombreuses espèces d'oiseaux, dont bon nombre sont des espèces se reproduisant au Canada, ont toujours lieu. La chasse figure parmi les causes de mortalité de la Mouette blanche (Stenhouse et coll., 2004), parce que la route migratoire de l’espèce longe des secteurs du littoral où l'on chasse d’autres oiseaux marins. Les Mouettes blanches, surtout celles des colonies se trouvant au Canada, sont chassées au Groenland (Neilsen et Dietz, 1989), même si elles sont protégées dans ce pays depuis 1977. D'après les dossiers de baguage, la plupart de ces oiseaux sont abattus pendant les migrations de printemps et d'automne ou bien au cours de leur trajet à destination des sites coloniaux se trouvant au Canada ou en provenance de ces sites (Stenhouse et coll., 2004). À l'heure actuelle au Canada, la chasse de subsistance par les Inuits est minimale (Priest et Usher, 2004; M. Mallory, comm. pers.) et a un effet vraisemblablement négligeable sur les populations. Bien que 20 % des personnes interrogées à Terre-Neuve-et-Labrador disent avoir chassé la Mouette blanche par le passé, la chasse hivernale est rare de nos jours (Ryan et coll., 2006).

2. La prédation des nids

Il semble que l'espèce choisisse des emplacements de nidification extrêmement éloignés afin d'éviter les prédateurs (Haney et MacDonald, 1995). La Mouette blanche a peu de moyens de défense contre certains prédateurs (p. ex. ours blancs, renards arctiques, Grands corbeaux ­ Corvus corax­). Par conséquent, des colonies peuvent être décimées en une seule saison (MacDonald, 1976). Au Canada, aucune autre espèce sauvage n’a été observée à proximité des colonies de Mouettes blanches sur la presqu'île Brodeur (île de Baffin) ou sur les nunataks de l'est de l'île Devon et ceux de l'île d'Ellesmere (Gilchrist et Mallory, 2005; Mallory et coll., 2008). Sur les six années de relevés effectués sur l'île Seymour, pratiquement aucun oiseau n'a été recensé en 2002 et en 2009 au site de la grande colonie (comptant en général plus de 100 individus), vraisemblablement à cause de la prédation (Gilchrist et Mallory 2005; M. Mallory, données inédites). En 2007 et en 2008, des prédateurs ont atteint l'île et ont tout dévoré à l'exception de quelques œufs (M. Mallory, données inédites). Des ours blancs ont souvent été observés à cet endroit; ils sont probablement le principal prédateur de cette colonie. Les changements dans la dynamique écologique ou dans les processus naturels découlant des activités industrielles et des changements climatiques pourraient donner lieu à des taux de prédation de plus en plus importants.

3. Les activités industrielles

La Mouette blanche tolère apparemment les brèves visites des colonies mais, comme de nombreux oiseaux coloniaux, pourrait moins tolérer les visites répétées auxquelles la proximité des sites industriels est susceptible de donner lieu. La collectivité d'Arctic Bay a été particulièrement préoccupée par le fait que les activités industrielles pourraient avoir une incidence sur les oiseaux nicheurs ainsi que sur d'autres espèces sauvages du nord de l'île de Baffin. Les activités susceptibles d’avoir lieu à proximité de tels sites incluent l’aménagement de caches à carburant, de pistes d'atterrissage en gravier pour les avions, de campements saisonniers et de sites de forage. Au Canada, une seule aire de reproduction est située à proximité de sites d’activités industrielles (exploration diamantifère sur la presqu'île Brodeur); c’est aussi une aire de laquelle une population reproductrice autrefois prospère (de plus de 500 individus) a pratiquement disparu (Gilchrist et Mallory, 2005; Robertson et coll., 2007). Les installations industrielles (p. ex. industrie minière) dans l'Arctique ont également tendance à attirer les prédateurs (COSEPAC, 2006), lesquels peuvent décimer les colonies de Mouettes blanches.

4. Les contaminants

Les contaminants apportés dans l'Arctique par transport à longue distance représentent une menace potentielle pour la santé de nombreuses espèces sauvages qui y vivent (Fisk et coll., 2005). La Mouette blanche peut y être particulièrement sensible, car elle se nourrit d'espèces qui se trouvent en haut de la chaîne alimentaire. Dans les œufs de la Mouette blanche, on trouve le taux de mercure le plus élevé de tous les œufs d’oiseaux de l'Arctique (Braune et coll., 2006) ainsi que des concentrations élevées d'autres contaminants organiques (Buckman et coll., 2004; Braune et coll., 2007; Miljeteig et coll., 2009). La Mouette blanche n’a pas été l’objet d’études monospécifiques; cependant, on a constaté les effets négatifs des contaminants (sur la reproduction, le comportement, le développement, l'immunologie et la structure génétique) sur des espèces de mouettes et de goélands de l'Arctique chez lesquelles on a détecté des concentrations de contaminants moins élevées que chez la Mouette blanche (Gabrielsen, 2007).

5. Les perturbations anthropiques – activités de suivi

Quelques chercheurs ainsi que certaines collectivités inuites (p. ex. Grise Fiord) ont indiqué que les visites des colonies par les chercheurs pourraient avoir provoqué des déclins en raison de perturbations pendant la période de nidification. Haney et MacDonald (1995) ont laissé entendre que l'espèce était vulnérable au passage répété de véhicules et au trafic aérien à proximité des colonies. Des données probantes provenant du Canada et de la Norvège permettent de croire que ce n'est peut-être pas toujours le cas. Dans ces deux pays, des visites brèves par hélicoptères de certaines colonies ont été faites et, si des mouettes quittaient les falaises, elles retournaient rapidement à leur nid (en moins d'une minute; COSEPAC, 2006). De même, des chercheurs ont campé sur une île abritant une colonie de Mouettes blanches pendant plusieurs années dans les années 1970, et la population revenait chaque année en nombre important pour se reproduire. Néanmoins, il peut exister un seuil de tolérance aux perturbations en dessous duquel les mouettes tolèrent les perturbations et au-dessus duquel elles renoncent à se reproduire pour l'année ou abandonnent le site. D’autres études devront être faites pour confirmer cette hypothèse.

6. Les changements climatiques

Dans la baie de Baffin, la hausse des températures a une incidence sur la répartition des glaces, sur le moment de la formation des glaces et celui de la débâcle, ainsi que sur l’étendue de la banquise (p. ex. Stirling et Parkinson, 2006) : l'étendue de la banquise est moins importante, la glace se forme plus tard et la débâcle se produit plus tôt que par le passé. Face à une réduction de l’étendue et de la durée de la couverture de glace, une espèce aussi dépendante de la banquise pourrait rencontrer des difficultés similaires à celles qu’affrontent les ours blancs (Stirling et Parkinson, 2006). Or, l’essentiel de la population reproductrice connue actuelle de la Mouette blanche se trouve dans la région de nunataks située dans la partie centre-est de l'île d'Ellesmere. Selon la configuration du site de nidification, la fonte (le retrait) des glaciers (une conséquence du réchauffement climatique) peut avoir deux répercussions : 1) la dislocation des glaces peut transformer ou même détruire un site de nidification; 2) l’augmentation de la superficie du couvert végétal ou rocheux consécutive au retrait des glaciers peut permettre à d'autres espèces (p. ex. végétation et lemmings - Dicrostonyx spp. - ) de se propager, ce qui augmenterait les risques que des prédateurs aient accès aux sites de reproduction qui sont, à l'heure actuelle, éloignés.

7. La pollution par les hydrocarbures

La pollution chronique par les hydrocarbures au large de Terre-Neuve-et-Labrador tue chaque année de nombreux oiseaux marins (Wiese et Robertson, 2004). Cette région abrite une partie de l'aire d'hivernage connue de la Mouette blanche (Haney et MacDonald, 1995). Les mouettes et les goélands sont considérés comme très vulnérables à la pollution par les hydrocarbures (Camphuysen, 1998); cette menace concerne donc vraisemblablement la Mouette blanche, bien qu'à ce jour aucune carcasse n'ait été retrouvée. Le fait que les sites où vivent les mouettes se trouvent au large des secteurs où quiconque pourrait trouver des oiseaux morts pourrait expliquer en partie ce phénomène.

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