Tortue luth (Dermochelys coriacea) évaluation et rapport de situation du COSEPAC : chapitre 8

FACTEURS LIMITATIFS

Plages de nidification

Les processus naturels et les activités humaines sur les plages de nidification de la tortue luth ont tous deux joué un rôle dans le déclin de l'espèce.

La récolte des œufs pour la vente sur les marchés locaux et étrangers est un problème grave et répandu pour l'espèce dans ses aires de nidification (voir p. ex. Campbell et al., 1996; Leslie et al., 1996).

Comme la tortue luth préfère nicher sur des plages ouvertes à proximité d'eaux profondes (et typiquement non protégées par des récifs frangeants), certaines années un grand nombre de nids sont détruits par l’immersion et l'érosion (voir p. ex. Whitmore et Dutton, 1985; Leslie et al., 1996).

Bien que leur viande soit considérée comme désagréable au goût par la plupart des gens, dans certaines régions les tortues luths libres et nicheuses font l’objet de braconnage, notamment chez les indigènes de l'océan Indien et de l'ouest de l'océan Pacifique (voir p. ex. Chan et Liew, 1996; Suarez et Starbird, 1996). 

L’aménagement et l'utilisation accrus des plages dissuadent les femelles de nicher dans nombre d'endroits et les empêchent parfois d'atteindre les sites de nidification (notamment lorsqu'on érige des murs de soutènement dans le cadre de projets d'enrochement des plages) (NMFS, 1992). Le nettoyage mécanique des plages et l'utilisation de véhicules tout-terrain peuvent perturber les sites de nidification et nuire au succès de l'éclosion, ou accroître la mortalité des nouveau-nés (Hosier et al., 1981). L'éclairage artificiel à proximité des sites de nidification peut désorienter les adultes (Witherington, 1992) comme les petits (Witherington et Bjorndal, 1991), faire échouer les tentatives de nidification ou, dans le cas des petits, les empêcher de se rendre à l'eau et entraîner une forte mortalité.

Dans le cadre de nombreux programmes de conservation de la tortue luth mis en œuvre sur les plages de nidification, on a récolté des œufs dans des nids non protégés pour les incuber artificiellement, habituellement à l'intérieur, dans des caisses de styromousse, à des températures inférieures à celle des nids naturels (Davenport, 1997). Comme la détermination sexuelle des embryons de cette tortue est thermodépendante, cette pratique répandue biaise généralement le rapport des sexes en faveur des mâles. Pour plusieurs auteurs, ce phénomène pourrait éventuellement poser un problème de conservation (Morreale et al., 1982; Mrosovsky, 1982; Dutton et al., 1985); l’impact de cette pratique pour les populations de tortues luths n'a toutefois jamais été quantifié. Si l’on doit incuber les œufs artificiellement, il faudrait de toute évidence soumettre un nombre égal de couvées à des températures supérieures et inférieures à la température pivot de 29,5 °C.

Le réchauffement planétaire pourrait aussi influer sur la détermination sexuelle thermodépendante et nuire aux populations de tortues luths. Les changements climatiques, même minimes, pourraient en effet éventuellement modifier le rapport des sexes sur des plages de nidification entières, en augmentant la température moyenne des nids et en favorisant ainsi la production de femelles (Davenport, 1997). Le réchauffement de la planète pourrait aussi avoir d'autres effets néfastes sur les tortues marines. Une altération des profils des courants océaniques pourrait accompagner le changement climatique et perturber la migration et la dispersion de ces tortues (Davenport, 1997). Le changement climatique pourrait aussi s’accompagner d’un accroissement de l'activité des ouragans et entraîner une destruction accrue des nids à cause de l'augmentation de l'érosion par le vent et les vagues sur les plages de nidification (Davenport, 1997).

Le milieu marin

On a dénombré un certain nombre de menaces générales pesant sur la tortue luth dans le milieu marin. La principale est certes l'enchevêtrement dans différents types d'engins de pêche. La tortue luth se prend dans les palangres, les orins des bouées et d'autres câbles et cordages (voir p. ex. Chan et al., 1988; Goff et Lien, 1988; NMFS, 1992; Cheng et Chen, 1997; Godley et al., 1998). Ces incidents peuvent entraîner de graves blessures (coupures aux épaules et aux nageoires antérieures causées par les cordages ou les câbles) ou la mort par noyade. Bien que les tortues marines s'accrochent souvent accidentellement aux palangres pélagiques, la vaste majorité d’entre elles sont remises en liberté vivantes (Witzell, 1984); on ne connaît toutefois pas leur taux de mortalité après la capture. Comme toutes les tortues marines, les tortues luths affichent une tolérance physiologique à des périodes prolongées d'anoxie (Shoop et Schwartz, 1992), ce qui permettrait à certaines de celles qui se font piéger de survivre pendant de longues périodes de submersion forcée (Shoop et al., 1990).

Les effets de la pollution marine sur les tortues de mer ne sont pas bien compris. On ignore donc l'envergure de la mortalité liée au phénomène. On connaît toutefois de nombreux cas documentés de mortalité de tortues luths associées à l'ingestion de divers débris marins d'origine anthropique, comme des sacs de plastique, des boules de goudron, des feuilles de plastique et des engins de pêche (voir p. ex. Sadove, 1980; Hartog et Van Nierop, 1984; Lucas, 1992; Starbird, 2000). L'ingestion de ces matériaux peut perturber le métabolisme ou la fonction intestinale des animaux, ou conduire à l'obstruction du tractus digestif et à l'inanition (Plotkin et Amos, 1990).

Comme son régime alimentaire est composé de méduses et a donc une forte concentration en eau et une faible teneur en matières organiques, la tortue luth doit consommer de grandes quantités d'aliments (Lutcavage, 1996). Pour Davenport et Wrench (1990), comme elle vit probablement longtemps (ce qui n'est pas confirmé), la tortue luth devrait s’avérer un indicateur idéal du niveau de contamination de la chaîne trophique océanique par accumulation de substances comme des métaux lourds et des polychlorobiphényles (PCB). Les concentrations de métaux et de PCB relevées chez la tortue luth devraient en effet donner une bonne idée de la bioamplification des concentrations observées chez les méduses se nourrissant de plancton. Les échantillons de tissus prélevés chez des tortues luths des eaux européennes n'ont toutefois mis en évidence aucune contamination chimique d'importance (Davenport et al., 1990; Godley et al., 1998).

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