Hespérie persius de l'est : évaluation et rapport de situation du COSEPAC : chapitre 7

Habitat

Besoins en matière d’habitat

L’E. p. persius se rencontre généralement dans des landes à pins gris (Pinus banksiana), des landes à chênes-pins, des savanes à chênes et d’autres boisés clairsemés abritant des populations de lupin vivace (L. perennis) ou de baptisie des teinturiers (B. tinctoria) (NatureServe, Explorer 2001), mais parfois le long de chemins forestiers aux Ētats-Unis (S. Daniels, comm. pers., 2002). Il a été capturé dans des habitats en apparence non favorables éloignés de toute population de lupin (Borth, 1997; Layberry et al. 1998; NatureServe Explorer, 2001). À l’âge adulte, cette hespérie se nourrit du nectar de diverses plantes (NatureServe Explorer, 2001), mais comme elle a besoin de ses plantes hôtes pour se reproduire, elle devrait être considérée comme une spécialiste à l’égard de l’habitat. Les espèces végétales suivantes sont mentionnées comme des plantes hôtes dans la littérature ancienne : Baptisia tinctoria (L.) R. Br. ex Ait. f. (baptisie des teinturiers), Ceanothus oliganthus Nutt., Galactia sp., Lespedeza sp. (lespédèze), Lotus unifoliolata (Hook.) Benth. (lotier des prairies), Populus spp. (peupliers et trembles), Quercus ilicifolia Wangenh. (chêne à feuilles de houx), Salix humilis Marsh. (saule humble) et Trifolium ciliolatum Benth. (Tietz,1972). Scudder (1889) mentionne avoir trouvé l’E. p.  persius en abondance en association avec le saule humble et des peupliers, et Lindsey (1927) indique l’avoir élevé sur le peuplier. Ces informations ont été largement diffusées et tenues pour valides jusqu’à la fin des années 1970, alors que le lupin vivace a été identifié comme une plante hôte de l’hespérie Persius de l’Est (Balogh, 1981). La baptisie des teinturiers a depuis été reconnue comme une plante hôte de l’E. p. persius (D. Schweitzer, comm. pers., 2002). Étant donné les difficultés soulevées par l’identification de l’E. p. persius, il y a lieu de croire que la plupart des premiers observateurs l’ont confondu avec une autre espèce d’Erynnis. En conséquence, la diversité de la gamme d’hôtes établie sur la base des mentions plus anciennes paraît suspecte, en particulier si l’on considère la grande spécificité d’hôte affichée par les autres taxons du complexe.

Matt Holder croit que le lupin vivace (L. perennis) est la principale plante hôte de l’E. p. persius au Canada et que les populations de l’hespérie devraient par conséquent se rencontrer en association avec cette plante. Le lupin vivace est présent en plusieurs endroits du sud-ouest de l’Ontario, habituellement dans des prairies à grandes graminées ou dans des savanes. Les savanes, comme celles qui se trouvent dans la région de Grand Bend, sont des milieux ouverts parsemés d’arbres matures (en particulier des chênes) qui se fondent souvent dans une prairie à grandes graminées. En présence de conditions naturelles, ces habitats sont fréquemment balayés par des incendies qui empêchent leur colonisation par les plantes ligneuses et préviennent la formation de broussailles ou d’un sous-étage important. Le lupin vivace est encore présent dans certaines localités du sud de l’Ontario, et c’est probablement uniquement à ces endroits que l’E. p. persius se rencontrait.

De nombreuses espèces d’insectes et de plantes rares, dont le mélissa bleu (L. m. samuelis) et le lutin givré (Callophrys irus [Godart]), deux espèces de papillons diurnes tenues pour disparues du Canada par le COSEPAC, sont également associées aux communautés à grandes graminées et aux communautés prairiales. On ignore dans quelle mesure l’hespérie Persius de l’Est tolère les perturbations, mais on sait que les deux autres espèces de papillons associées au lupin présentaient une faible tolérance aux perturbations. Une autre espèce de genre Erynnis, l’hespérie tachetée (E. martialis), a besoin d’habitats ouverts et n’est jamais observée dans des sites par ailleurs favorables présentant un couvert ligneux de plus de 55 p. 100 (Swengel, 1994). On peut penser que l’hespérie Persius de l’Est présente une intolérance similaire. Il ne s’agit cependant que d’une hypothèse, et il se peut que cette hespérie soit limitée uniquement par la présence et l’abondance de sa plante hôte.

Outre la présence de la plante hôte, d’autres caractéristiques de l’habitat semblent influer sur la répartition de l’hespérie Persius de l’Est. Swengel (1994) et d’autres auteurs ont constaté que la présence de milieux boisés ouverts, en particulier de milieux à sol sablonneux et à végétation clairsemée parsemés de jeunes chênes, est essentielle pour l’hespérie (Kons 1997). Iftner et al. (1992) ont observé que les femelles ne pondent pas sur les plants de lupin poussant à l’ombre. Maxwell et Ferge (1994) mentionnent toutefois avoir observé l’hespérie dans des boisés tant ouverts qu’ombragés. Enfin, Kons (1995) estime que l’E. p. persius peut traverser des forêts denses pour se disperser à d’autres colonies de lupin. Il semble donc que l’hespérie Persius de l’Est ait besoin de milieux ouverts abritant des colonies de lupin pour se reproduire et que les forêts denses ne constituent pas un obstacle à sa dispersion.

Bien que la structure spatiale des populations de l’E. p. persius n’ait pas été quantifiée, il semble que la dynamique des populations, ponctuée d’extinctions et recolonisations locales (Givnish et al., 1988), existe à l’échelle du paysage. Dans le passé, la pérennité des boisés ouverts abritant des populations de lupin vivace était assurée par le feu, et le maintien des populations de l’E. p. persius dépendait de la capacité des individus de trouver des parcelles de lupin épargnées par le feu dans le voisinage. En l’absence d’incendies, il se peut que l’E. p. persius parvienne à se maintenir dans des îlots d’habitat favorable dont la pérennité est assurée par d’autres facteurs (p. ex. tonte effectuée après le milieu de juillet dans le cadre d’une stratégie visant à prévenir la colonisation par les plantes ligneuses et à favoriser la croissance du lupin). La plupart des populations existantes de lupin en Ontario sont isolées et ne comptent que quelques plants (P.A. Woodliffe, comm. pers., 2002; W. Bakowsky, comm. pers., 2002; D. Sutherland, comm. pers., 2002), mais plusieurs, comme celles qui se trouvent à St. Williams et dans le parc provincial Pinery, sont de grandes tailles. Au Michigan, on estime qu’il faut au moins 200 pi2 (environ 20 m2) d’habitat favorable abritant de nombreux plants de lupin pour supporter une petite population de l’hespérie (M. Nielsen, comm. pers., 2005). L’élimination des plantes ligneuses et la plantation et l’ensemencement de lupin ont permis de maintenir des colonies de lupin dans le comté de Lambton et à St. Williams. Dans le comté de Peterborough (Don Sutherland, comm. pers., 2002), une petite population de lupin (de 50 à 100 plants) se maintient depuis des années sur le bord d’une route faisant l’objet de pratiques courantes d’aménagement des emprises routières (tonte).


Tendances en matière d’habitat

Le déclin des savanes et des prairies est un phénomène généralisé dans le nord-est de l’Amérique du Nord. Ses principales causes sont l’extraction des ressources, l’exploitation et le développement agricoles, l’urbanisation et la suppression des incendies. Dans les États du Midwest, où les efforts de conservation des habitats de savane et de prairie sont particulièrement intenses, moins de 25 p. 100 des savanes et prairies originales existent encore, mais elles sont malheureusement dégradées (Nuzzo, 1986). Selon Nuzzo (1986), moins de 0,02 p. 100 de la portion supérieure du MidWest (à partir du Missouri vers le nord) occupée par la savane à chênes avant l’arrivée des premiers colons européens était encore en bon état. Pourtant, D. Schweitzer (comm. pers., 2002) affirme que l’E. p. persius est totalement absent d’une bonne partie des habitats existants susceptibles d’abriter des populations dans le nord-est de l’Amérique du Nord.

En Ontario, de nombreuses espèces ont souffert de l’altération généralisée de leur habitat causée par l’urbanisation, le développement agricole et l’exploitation des ressources. D’après les données disponibles, il semble que les habitats de prairie et de savane occupaient une région beaucoup plus grande qu’aujourd’hui dans le sud de l’Ontario (Bakowsky, 1999). Ces habitats abritaient probablement des populations de lupin vivace et, peut-être, d’hespérie Persius de l’Est. On estime à quelque 2 000 km2 la superficie occupée par les habitats de prairie et de savane et les boisés clairsemés avant l’arrivée des premiers colons européens. Ces habitats ne couvrent plus que 20 km2 aujourd’hui (Varga, 1999). Selon Catling et al. (1992), les plaines du lac Rice, au nord de Cobourg, étaient occupées par des habitats de prairie et de savane et abritaient les plus importantes populations de lupin en Ontario. Ces plaines étaient peut-être habitées par l’hespérie Persius de l’Est et d’autres espèces se nourrissant de lupin, comme le L. m. samuelis (Catling et Brownell, 2000). Les habitats favorables avaient déjà presque entièrement disparu en 1900, et seules quelques populations reliques de lupin s’y rencontrent encore aujourd’hui (Brownell et Blaney, 1996; D.A. Sutherland, comm. pers., 2002). Toutefois, une grande parcelle d’habitat de prairie à grandes graminées et de savane abrite encore une population de plusieurs milliers de plants de lupin dans la région.

Des populations de lupin sont encore présentes à d’autres endroits, comme le parc High à Toronto et l’île Walpole. Au parc High, l’application de pratiques de gestion inappropriées dans le passé, la colonisation par des plantes envahissantes non indigènes et les perturbations anthropiques a causé une dégradation et perturbation de l’habitat. Même si l’état de cet habitat s’est amélioré récemment par suite d’une série de mesures prises par la ville de Toronto (City of Toronto, 2002), la probabilité que l’E. p. persius parvienne de lui-même à occuper cet habitat semble très faible pour plusieurs raisons, notamment à cause de la distance qui sépare cet habitat des populations sources d’E. p. persiuset des altérations subies dans le passé par l’habitat. La présence de l’E. p. persius a déjà été signalée à l’île Walpole, mais ces mentions n’ont pas été confirmées et ne sont étayées par aucun spécimen (Kulon et al., 1987). L’île Walpole a déjà abrité une population importante de lupin vivace (Woodliffe et Allen, 1988), mais des travaux d’agrandissement d’une sablière ont entraîné sa destruction en 2001 (P.A. Woodliffe, comm. pers., 2002). Cet habitat ne répond plus aux exigences de l’E. p. persius.

La dégradation de l’habitat dans les régions de St. Williams et de Pinery est bien documentée (p. ex. Stead, 1993). La succession végétale favorisée par la plantation d’arbres et la suppression des incendies sont considérées comme les principales causes de ce changement. Au moins dans le parc provincial Pinery, le cerf de Virginie (Odocoileus virginianus [Zimmermann]) pourrait également avoir contribué au déclin des populations de lupin (Hess, 1992). Le broutage par le cerf de Virginie est un facteur naturel, mais cet herbivore est devenu extrêmement abondant par suite de l’élimination de ses prédateurs et compétiteurs naturels et de l’altération du paysage, et il exerce aujourd’hui des pressions considérables sur les populations de lupin et d’autres herbacées dans les quelques habitats de prairie et de savane qui restent dans le sud de l’Ontario. Les régions de St. Williams et du parc provincial Pinery étaient importantes pour l’E. p. persius, et des précisions sur les mesures qui ont été prises dans ces deux sites pour y modifier et restaurer l’habitat sont présentées dans les paragraphes qui suivent.

Parcs Ontario et l’organisme Lambton Wildlife Incorporated ont récemment mis en place un train de mesures afin de restaurer l’habitat de savane dans le comté de North Lambton et, principalement, d’y préserver l’habitat du mélissa bleu. Toutefois, lorsque ces mesures ont été introduites, le L. m. samuelis et probablement l’E. p. persiusavaient déjà disparu, les habitats favorables étant devenus trop rares. Dans le parc provincial Pinery, Parcs Ontario a élaboré des plans et appliqué des mesures de gestion en vue de préserver les savanes à chênes naturelles (ministère des Richesses naturelles de l’Ontario, 1986). Ces interventions ont mené au rétablissement d’un certain nombre de populations de lupin. Dans le cadre de ce programme, un abattage sélectif a été pratiqué afin de maintenir les effectifs du cerf de Virginie à un seuil raisonnable, un exclos a été érigé dans un boisé ouvert situé près de l’extrémité sud du parc afin d’empêcher les cerfs de Virginie d’atteindre les plants de lupin, et des plants de lupin vivace provenant d’une population externe ont été transplantés dans le parc. Grâce à ces efforts, le lupin est maintenant présent dans quatre petits secteurs du parc provincial Pinery (annexe 2).

Plusieurs régions situées à l’extérieur du parc abritent des populations de lupin vivace (annexe 2). La plus importante de ces populations se trouve à proximité de Port Franks, dans le sanctuaire des mélissas bleus, aire naturelle importante qui appartient et est gérée par Lambton Wildlife Incorporated. Ce sanctuaire abrite plusieurs centaines de plants de lupin, dont un pourcentage important se trouve dans un boisé ouvert connu sous le nom de « The Bowl », à l’extrémité sud-est de la propriété. Le sanctuaire renferme les meilleurs habitats pour l’E. p. persius de toute la région. Un plan de gestion visant à recréer un habitat propice à une éventuelle réintroduction du mélissa bleu a été élaboré et est en cours d’exécution (Banks et al., 2001). Pour restaurer l’intégrité de la savane à chênes dans le sanctuaire, on a procédé à des brûlages dirigés, on a éliminé la végétation ligneuse et on a planté des lupins vivaces (Banks et al., 2001; P.M. Banks, comm. pers., 2002). Selon Matt Holder, le sanctuaire renferme un habitat de grande qualité pour l’E. p. persius.

À l’extérieur du parc provincial Pinery, la forêt de la Couronne St. Williams renferme la plus grande superficie de savane encore existante dans la zone biologique carolinienne du Canada et abrite une très grande diversité d’espèces végétales et animales, dont bon nombre sont considérées comme rares en Ontario et au Canada (Draper et al., 2002). La région était en bonne partie boisée en 1945, mais une large portion de la parcelle Manestar, où le lupin est aujourd’hui présent en grand nombre, a fait l’objet d’une coupe à blanc en 1953, et des travaux d’extraction de sable s’y sont également poursuivis entre 1955 et 1972 (Draper et al., 2002). Durant toutes ces années, quelques parcelles de savane ont persisté dans certaines portions sud de la propriété. Ces petites parcelles ont été soumises aux effets de la succession végétale, en l’absence de facteurs naturels contribuant à l’éclaircie des peuplements. Une éclaircie visant à rétablir la savane y a cependant été effectuée en 1991 (Draper et al., 2002). C’est dans l’une de ces parcelles que l’E. p. persius, le C. irus et le L. m. samuelis ont été observés pour la dernière fois. Ailleurs dans la parcelle Manestar, le lupin et d’autres plantes montrant des affinités pour les communautés de savane et de prairie ont continué d’occuper les milieux ouverts adjacents aux parcelles de savane, en particulier en bordure des chemins d’accès et des sentiers ouverts et dans un grand champ situé à l’extrémité nord de la propriété.

Les mesures de gestion visant à rétablir l’habitat de savane dans la parcelle Manestar de la forêt de la Couronne St. Williams incluaient l’élimination de la végétation et l’ensemencement du lupin. Une ébauche de plan de gestion a été élaborée pour la parcelle Manestar (Allen, 1992), mais le projet demeure à finaliser et à mettre en œuvre. D’autres recommandations relatives à la remise en état et à la gestion de la forêt de la Couronne St. Williams sont présentées dans Draper et al. (2002). Cette forêt sera bientôt désignée « réserve de conservation »,  et son administration relèvera de Parcs Ontario (MRNO, 2005).


Protection et propriété

Des habitats propices à la reproduction de l’E. p  persius existent dans la forêt St. William, sur des terres de la Couronne gérées par le ministère des Richesses naturelles de l’Ontario, dans le parc provincial Pinery, géré par Parcs Ontario, et dans le comté de Lambdon, sur une propriété appartenant à Lambton Wildlife Incorporated et gérée par cet organisme de conservation et de protection de la nature. D’autres populations de lupin vivace se trouvent sur des terres relevant des Premières nations (île Walpole) et d’autorités locales (p. ex. comté de Norfolk et Toronto), quoique les droits de propriété de certains sites demeurent à préciser. Dans la plupart des cas, on ne prévoit aucun changement des droits de propriété dans le futur, mais le devenir des populations de lupin établies à l’est de Delhi (annexe 2) paraît incertain. Environ 80 à 90 p. 100 de l’habitat favorable est protégé de la destruction, mais les plans de gestion demeurent à établir pour de nombreux sites.

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