Rorqual bleu (Balaenoptera musculus) de l'Atlantique Nord-Ouest programme de rétablissement : chapitre 1

1. Contexte

1.1 Évaluation de l’espèce par le COSEPAC

Voici le sommaire de l’évaluation du Comité sur la situation des espèces en péril au Canada (COSEPAC), tel qu’il apparaît dans le rapport de situation de Sears et Calambokidis (2002) :

Nom commun (population) : Rorqual bleu (population de l’Atlantique)

Nom scientifique : Balaenoptera musculus

Inscription légale (Loi sur les espèces en péril (LEP)) : Janvier 2005 (En voie de disparition)

Désignation du COSEPAC : En voie de disparition

Date de l’évaluation : Mai 2002

Justification de la désignation : La chasse à la baleine a réduit la population initiale. Il existe moins de 250 individus matures, et il y a de fortes indications d’un faible taux de mise bas et de recrutement au sein de la population étudiée. Actuellement, les plus grandes menaces pour cette espèce proviennent des collisions avec des navires, de la perturbation causée par l’activité croissante d’observation des baleines, de l’enchevêtrement dans les engins de pêche et de la pollution. Les baleines peuvent aussi être vulnérables aux changements climatiques à long terme, ce qui pourrait avoir une incidence sur l’abondance de leur proie (c.-à-d. zooplancton).

Présence au Canada : Pacifique Nord, Atlantique Nord

Historique du statut selon le COSEPAC : L’espèce a été considérée comme une unité et a été désignée « préoccupante » en avril 1983. Division en deux populations en mai 2002. La population de l’Atlantique a été désignée « en voie de disparition » en mai 2002. Dernière évaluation fondée sur une mise à jour d'un rapport de situation.

1.2 Description

Le rorqual bleu (Balaenoptera musculus) a une forme conique allongée dont les teintes varient du gris pâle au gris ardoisé avec une pigmentation marbrée (Sears, 2002; Sears et Calambokidis, 2002). Certains individus sont très peu marbrés et semblent uniformément pâles ou foncés, alors que d’autres présentent différents motifs de marbrure qui leur sont uniques et qui sont stables tout au long de leur vie. Ces différences au niveau de la pigmentation et des motifs de marbrure permettent d’identifier les individus et de suivre leur déplacement au moyen de la photo-identification (Sears, et coll., 1987; Calambokidis, 1990; Sears, et coll., 1990).

Ce cétacé possède une grosse tête en forme de U qui représente environ 25 % de la longueur totale de son corps et qui est munie de fanons pouvant atteindre 1 mètre de long. Les nageoires pectorales mesurent environ quatre mètres. Les nageoires caudales sont grises, larges et triangulaires avec un bord arrière droit ou légèrement incurvé. Elles peuvent présenter des taches blanches caractéristiques des individus (Sears, 2002; Sears et Calambokidis, 2002).

Le rorqual bleu est le plus gros animal qui ait jamais vécu sur la Terre. Son poids varie entre 73 000 et 136 000 kg (Sears, 2002; Sears et Calambokidis, 2002). Les femelles sont généralement plus grosses et plus longues que les mâles et les individus sont plus gros dans l’hémisphère Sud que dans l’hémisphère Nord (Lockyer, 1984; Yochem et Leatherwood, 1985).


Figure 1. Illustration d'un rorqual bleu

Figure 1. Rorqual bleu (voir description longue ci-dessous).
Description pour la figure 1

La figure 1 est une illustration d'un rorqual bleu par Daniel Grenier, courtoisie de la Station de recherche des îles Mingan (MICS).

1.3 Populations et répartition

Le rorqual bleu fait partie du groupe des Mysticètes ou baleines à fanons et plus spécifiquement de la famille des Balaenopteridae. Il existe trois sous-espèces de rorquals bleus réparties dans la plupart des océans du monde : 1) le rorqual bleu boréal B. m. musculus (Linnaeus, 1758) occupe l’hémisphère Nord; 2) le rorqual bleu austral B. m. intermedia (Burmeister, 1871) habite les eaux de l’Antarctique; 3) le rorqual bleu pygmée B. m. brevicauda (Ichihara, 1966) se retrouve dans la zone subantarctique, dans le sud de l’océan Indien et dans le sud-ouest de l’océan Pacifique (Yochem et Leatherwood, 1985; Sears, 2002). À partir des caractéristiques des vocalises produites par les rorquals bleus, McDonald et coll.(2006b) ont divisé les rorquals bleus en neuf régions ou populations, soit 4 dans le Pacifique, 3 dans l’océan Indien, 1 dans l’Atlantique Nord et 1 dans l’océan austral.

Deux populations géographiquement séparées fréquentent les eaux canadiennes, l’une dans l’Atlantique Nord et l’autre dans le Pacifique Nord (figure 2). La population du Pacifique Nord a fait l’objet d’un programme de rétablissement en 2005 (Gregr, et coll., 2005). Du côté de l’Atlantique Nord, les rorquals bleus ont été divisés en deux populations, l’une à l’est et l’autre à l’ouest de l’Atlantique, quoique cette division en deux populations ne fasse pas l’unanimité (Gambell, 1979; Wenzel, et coll., 1988; Sears, et coll., 1990; Clark, 1994; Reeves, et coll., 1998; Clapham, et coll., 1999; Sears, 2002; Sears et Calambokidis, 2002; Sears et Larsen, 2002; Sears, 2003; Reeves, et coll., 2004; McDonald, et coll., 2006a). Les travaux de photo-identification indiquent que les rorquals bleus observés dans le Saint-Laurent, à Terre-Neuve, en Nouvelle-Écosse et en Nouvelle-Angleterre appartiendraient à une même population, la population du Nord-Ouest, alors que ceux photographiés au large de l’Islande et des Açores appartiendraient à celle du Nord-Est (Cetacean and Turtle Assessment Program (CETAP), 1982; Wenzel, et coll., 1988; Sears, 2002; Sears et Larsen, 2002; Sears, 2003). Par conséquent, la population canadienne de rorquals bleus dans l’Atlantique, qui est visée par le présent programme de rétablissement, appartient à la population de l’Atlantique Nord-Ouest.


Figure 2. Répartition du rorqual bleu au large des côtes de l’Amérique du Nord et Centrale

Figure 2. Répartition du rorqual bleu (voir description longue ci-dessous).
Description pour la figure 2

La figure 2 est une carte de répartition du rorqual bleu. La carte montre les zones connues d'occurrence et les zones potentielles de répartition. Adaptée de Sears et Calambokidis (2002).

Les rorquals bleus entreprennent chaque année de longues migrations saisonnières, du sud vers le nord, depuis les aires d’hivernage, dans les latitudes équatoriales, jusqu’aux aires d’alimentation d’été situées dans les eaux productives des latitudes tempérées à subarctiques (Lockyer, 1984; Reeves, et coll., 1998; Perry, et coll., 1999; Sears et Calambokidis, 2002; Reeves, et coll., 2004). Cette migration permet aux rorquals bleus de s’alimenter pendant quatre à six mois dans des zones très productives, d’engraisser et de stocker des réserves pour les mois de l’année où l’alimentation est plus pauvre dans les zones hivernales (Lockyer, 1984).

Les aires d’hivernage et de reproduction des rorquals bleus de l’Atlantique Nord sont très mal connues, bien que certains auteurs soupçonnent qu’ils puissent migrer plus au sud jusque dans les Bermudes ou en Floride et que quelques individus demeurent dans les eaux au sud de l’Islande et près de Terre-Neuve et de la Nouvelle Écosse (Sears, 2002; Sears et Calambokidis, 2002). En effet, des rapports hivernaux provenant de diverses régions de l’estuaire, du nord du golfe du Saint-Laurent et du sud et sud-ouest de Terre-Neuve suggèrent qu’une proportion des animaux demeurent à nos latitudes toute l’année (Sears et Williamson, 1982; Sergeant, 1982; Sears et Calambokidis, 2002; Stenson, et coll., 2003). En été, les rorquals bleus de la population de l’Atlantique Nord-Ouest se répartissent probablement entre le détroit de Davis, au large de la côte ouest du Groenland et la Nouvelle-Angleterre (Jonsgård, 1955, 1966; Sears, et coll., 1990; Rice, 1998; Sears, 2002; Sears et Calambokidis, 2002).

La majorité des observations récentes pour la population de l’Atlantique Nord-Ouest ont été réalisées dans le golfe du Saint-Laurent (Sears, 1983; Sears, et coll., 1990), plus précisément dans la région des îles Mingan, de l’île d’Anticosti, au large de la Gaspésie (Sears et Calambokidis, 2002; Sears, 2003), des côtes sud-ouest et est de Terre-Neuve (Sergeant, 1966; Mitchell, 1982; Lien, et coll., 1987) ainsi que dans les eaux du plateau néo-écossais (Sutcliffe et Brodie, 1977; CETAP, 1982; Whitehead, et coll., 1998; Reeves, 1999; Lawson et Gosselin, 2009). Dans l’estuaire du Saint-Laurent, les observations ont lieu entre Forestville et Tadoussac; dans le Golfe, à la pointe orientale de la péninsule gaspésienne et sur la Côte-Nord, à la hauteur de Sept-Îles et de Port-Cartier. Ces observations ont lieu principalement durant la période de mai à décembre, avec un pic d’observations entre juin et août (Sears et Calambokidis, 2002). Selon des données acoustiques, des rorquals bleus sont présents sur le Grand Banc de Terre-Neuve entre août et mai, avec un pic d’activités vocales enregistré de septembre à février (Clark, 1995). En outre, des concentrations d’individus ont déjà été observées dans le chenal Laurentien ainsi qu’à Terre-Neuve au sud et au nord-est, dans le secteur du bassin Orphan (LGL ltée, données non publiées).

Les estimations de la taille de la population mondiale actuelle varient de 5 000 à 12 000 individus bien que la précision de ces estimations soit douteuse (Carretta, et coll., 2003). La population de l’Atlantique Nord-Est, selon un échantillonnage effectué en 2001, est estimée à 1159 rorquals bleus qui habiteraient les eaux de l’Islande et les eaux adjacentes durant la période estivale (Vikingsson, 2003). Le nombre de rorquals bleus de la population de l’Atlantique Nord-Ouest est inconnu, mais on estime qu’il est peu probable que cette population compte plus de 250 individus ayant atteint la maturité sexuelle (Sears et Calambokidis, 2002).

Un total de 405 rorquals bleus ont été photo-identifiés entre 1979 et le printemps 2007, dont près de 40 % ont fait l’objet de biopsies (R. Sears, Station de recherche des îles Mingan (MICS), communication personnelle), principalement dans l’estuaire et le nord-ouest du golfe du Saint-Laurent. Chaque année, de 20 à 105 rorquals bleus sont répertoriés dans cette région. Environ 40 % des rorquals bleus identifiés reviennent fréquemment dans le secteur d’étude, les autres individus répertoriés ayant été observés pendant moins de trois saisons entre 1979 et 2002, ce qui laisse croire que ces individus vivent la plupart du temps à l'extérieur du Saint-Laurent, possiblement en bordure des eaux du plateau, entre la mer du Labrador et le détroit de Davis, au nord, jusqu'au Bonnet Flamand, à l'est et en Nouvelle-Angleterre, au sud (Sears et Calambokidis, 2002). Les données de photo-identification hors de l’estuaire et du golfe du Saint-Laurent sont limitées. Quelques individus ont été photographiés le long des côtes de Terre-Neuve, sur le plateau néo-écossais et dans le golfe du Maine dont certains ne figurent pas parmi les 405 rorquals bleus identifiés dans l’estuaire et le nord-ouest du golfe du Saint-Laurent (Sears et Calambokidis, 2002; J. Lawson, Ministère des Pêches et des Océans (MPO), communication personnelle). Ramp et coll. (2006) ont estimé le taux de survie à 0,975 et le rapport des genres de 139 individus échantillonnés par biopsie à 79 mâles pour 67 femelles (Sears, 2003). Étant donné la faible proportion de l’aire de répartition du rorqual bleu qui a été échantillonnée jusqu’à maintenant et la faible abondance des rorquals bleus, les données actuelles fondées sur la photo-identification ne permettent pas d’estimer avec un degré minimal de certitude l’abondance de cette espèce dans l’Atlantique Nord-Ouest (Hammond, et coll., 1990; Sears et Calambokidis, 2002).

1.4 Besoins du rorqual bleu

1.4.1 Besoins biologiques et besoins en matière d’habitat dans l’Atlantique canadien

Selon les connaissances disponibles, le rorqual bleu utilise les eaux côtières et pélagiques de l’Atlantique canadien principalement en période estivale pour s’alimenter presque exclusivement d’euphausiacés, communément appelée krill. Ces grands rorquals sont alors typiquement observés seuls ou en paires (Sears, et coll., 1990; Sears et Calambokidis, 2002). Il est cependant possible de retrouver d’importantes concentrations de rorquals bleus (jusqu’à 20 à 40 individus, Sears, et coll., 1990; R.Sears, MICS, données non publiées) dans les zones où leur nourriture est supposément concentrée à certaines périodes de l’année. Ces zones se trouvent typiquement aux abords des plateaux continentaux, des ruptures topographiques, à la tête de canyons ou dans les chenaux profonds où l’interaction des courants avec la topographie engendre souvent des remontées d’eau profonde et un processus de concentration du krill (Sameoto, 1976, 1983; Simard, et coll., 1986; Schoenherr, 1991; Lavoie, et coll., 2000; Croll, et coll., 2005; Sourisseau, et coll., 2006; Simard, 2009).

Il n’y a pas encore eu d'étude cherchant à lier simultanément les concentrations de krill aux observations de rorquals bleus. Néanmoins, plusieurs zones de forte concentration de krill pouvant constituer des aires d'alimentation du rorqual bleu ont été mises en évidence, la plus étudiée dans l’Atlantique Nord-Ouest étant celle de la tête du chenal Laurentien situé dans l’estuaire maritime du Saint-Laurent. Il y a aussi d’autres zones importantes dans l’Estuaire, le Golfe et le Nord-Ouest de l’Atlantique où des concentrations de krill sont présentes, notamment le détroit d’Honguédo, la rive nord de la péninsule gaspésienne et le Bassin Émeraude en Nouvelle Écosse (Sameoto, 1976, 1983; Sameoto, et coll., 1993; Cochrane, et coll., 2000; I. McQuinn, MPO, données non publiées). D’autres zones de fortes concentrations de macrozooplanctons, surtout du krill, ont été échantillonnées dans le golfe du Saint-Laurent à l’aide de l’hydroacoustique et peuvent constituer des aires d’alimentation des rorquals bleus (I. McQuinn, MPO, données non publiées). Ces zones incluent le courant de Gaspé, à la hauteur de Sainte-Anne-des-Monts et de Gaspé, dans l'Estuaire, vis-à-vis de Pointe aux Outardes et de Pointe Mitis, à l’extrémité ouest de l’Île d’Anticosti, autour du Banc Parent et au large de la côte ouest de Terre-Neuve, près de l'isobathe de 150 mètres.

Même s’il n’y a pas de suivi systématique de ces endroits, les données disponibles indiquent qu’il est probable que des agrégations de krill se forment de manière prévisible chaque année dans ces zones, comme c’est le cas dans le détroit d’Honguédo (Sameoto, 1983; I. McQuinn, MPO, données non publiées), dans l’estuaire du Saint-Laurent à la tête du chenal Laurentien (Simard et Lavoie, 1999; Cotté et Simard, 2005) et dans plusieurs autres endroits. Un modèle numérique supporte l'agrégation de particules ayant certains comportements similaires au krill dans plusieurs de ces zones (Sourisseau, et coll., 2006). La configuration topographique du bassin couplée à la circulation hydrodynamiqueNote de bas de page 3 semblent avoir une importance quant à la détermination des régions où il est probable que des agrégations de nourriture du rorqual bleu se forment (Sourisseau, et coll., 2006). Actuellement, il n’est pas possible de déterminer dans quelle mesure le krill se concentre dans toutes ces zones ni dans quelle mesure ces zones sont utilisées par le rorqual bleu pour son alimentation.

Les rorquals bleus ont été observés dans plusieurs de ces zones au fil des ans et des saisons, également dans le secteur de Pointe-des-Monts et celui compris entre Sept-Îles et Blanc-Sablon, où surviennent des remontées d’eaux profondes susceptibles de concentrer de grandes quantités de krill (voir revue dans Lesage, et coll., 2007). Les données actuelles sont insuffisantes pour déterminer l'importance relative des différentes zones de concentration de krill ou de macrozooplancton pour l'alimentation des rorquals bleus. Bien qu'une correspondance existe entre certaines de ces zones et la présence récurrente de rorquals bleus, une grande variation de leur utilisation en période estivale d’année en année a été observée.


1.4.2 Rôle écologique et valeur anthropique

Le rorqual bleu est un prédateur d’organismes de niveau trophique inférieur qui ingère plusieurs tonnes de proies par jour et pourrait constituer une proie pour les épaulards (Orcinus orca). Historiquement plus nombreux, le rétablissement de la population de rorquals bleus de l’Atlantique Nord-Ouest permettrait à celle-ci d’accomplir pleinement son rôle écologique de prédateur ou de proie.

Le rorqual bleu est une espèce animale appréciée des observateurs de baleines, des scientifiques et des écologistes. Récemment, Olar et coll. (2007) ont mené un sondage auprès de 2 000 Canadiennes et des Canadiens pour vérifier les avantages économiques que représentait le rétablissement des mammifères marins dans l’estuaire du Saint-Laurent. Ils ont démontré que le peuple canadien se souciait de la protection des mammifères marins et qu’il souhaitait que le Canada dépense davantage pour la protection du rorqual bleu dans l’estuaire du Saint-Laurent.


1.4.3 Facteurs limitatifs intrinsèques à l’espèce

Plusieurs caractéristiques intrinsèques ou acquises du cycle biologique ou de l’écologie du rorqual bleu peuvent avoir une incidence sur son potentiel de rétablissement, plus précisément au niveau de la reproduction et de la spécialisation alimentaire.

Dans l’hémisphère Nord, le rorqual bleu s’accouple et met bas entre la fin de l’automne et le milieu de l’hiver (Yochem et Leatherwood, 1985). La femelle donne naissance généralement à un seul petit après une gestation de dix à onze mois, et ce, tous les deux ou trois ans (Lockyer, 1984; Sears, 2002). À sa naissance, le baleineau mesure de six à sept mètres et pèse plus de deux tonnes (Sears, 2002; Sears et Calambokidis, 2002). Le petit demeure dépendant de sa mère jusqu’au moment du sevrage, soit vers l’âge de sept à neuf mois (Lockyer, 1984; Tillman et Donovan, 1986). Le sevrage a lieu l’été sur les aires d’alimentation où le baleineau apprend à se nourrir (Lockyer, 1984; Yochem et Leatherwood, 1985; Tillman et Donovan, 1986). Les mâles et les femelles atteignent leur maturité sexuelle entre cinq et 15 ans (Yochem et Leatherwood, 1985; Perry, et coll., 1999; Sears, 2002). Dans l’hémisphère Nord, les femelles mesurent alors de 21 à 23 m, tandis que les mâles mesurent entre 20 à 21 m (Sears, 2002; Sears et Calambokidis, 2002). Le rorqual bleu est une espèce dont la longévité est estimée à plus de 80 ans (Yochem et Leatherwood, 1985; Sears, 2002).

Le taux de croissance annuel de la population de l’Atlantique Nord-Ouest est inconnu. Pour l’Antarctique, le taux de croissance annuel a été estimé à 7,3 % (Branch, et coll., 2004), tandis que celui de la population du Nord-Est de l’Atlantique a été estimé à 5,2 % (Sigurjònsson et Gunnlaugsson, 1990). Dans l’estuaire et le golfe du Saint-Laurent, seulement 19 paires mère-veau ont été observées au cours des 30 dernières saisons (R. Sears, MICS, J.-F. Gosselin, MPO, données non publiées). Cependant, étant donné la faible proportion de l’aire de répartition qui est couverte lors des observations en mer au Canada, il n’est pas possible de déterminer si le faible nombre de paire mère-veau observée est représentatif du taux de croissance de la population pour l’ensemble de l’Atlantique Nord-Ouest.

Autre particularité, les rorquals bleus se nourrissent presque exclusivement d’euphausiacés, ou krill (Jonsgård, 1955; Sergeant, 1966; Kawamura, 1980; Lockyer, 1984; Schoenherr, 1991). Ils affichent une consommation individuelle se situant entre 1 800 à 3 600 kg de krill par jour (Yochem et Leatherwood, 1985). Dans l’Atlantique Nord, ses principales proies sont Thysanoessa inermis, T. longicaudata, T. raschii et Meganyctiphanes norvegica (Yochem et Leatherwood, 1985; Sears et Calambokidis, 2002). Pour combler leurs besoins énergétiques, les rorquals bleus doivent se nourrir exclusivement dans les zones de très forte concentration de krill (Brodie, et coll., 1978; Kawamura, 1980; Croll, et coll., 2005). Les zones où de telles densités de zooplancton sont présentes sont rares dans la mer, par conséquent, elles sont importantes pour la survie du rorqual bleu. Les réserves lipidiques du rorqual bleu accumulées durant les quatre ou cinq mois intensifs passés à s’alimenter serviraient à effectuer la migration hivernale et à soutenir la reproduction. Le succès de processus biologiques tels que la fertilité, la gestation, la lactation, le développement, la croissance, la maturité sexuelle et le recrutement, sont tous dépendants de l’efficacité des rorquals bleus à stocker des réserves énergétiques (Lockyer, 1984).

Ainsi, le faible taux de natalité combiné à une maturité sexuelle tardive constituent des facteurs limitatifs importants se traduisant par un faible taux de croissance susceptible d’affecter le potentiel de rétablissement de l’espèce. Bien que le rorqual bleu de l’Atlantique Nord-Ouest ne soit plus chassé depuis 1966, l’accroissement naturel de cette population demeure incertain. De plus, la viabilité et le rétablissement de la population de rorquals bleus peuvent être restreints par des facteurs qui limitent la disponibilité des ressources alimentaires (voir section 1.5.3.2 Disponibilité de la nourriture).

1.5 Menaces : classification et description

Le principal facteur responsable de la baisse des effectifs du rorqual bleu au Canada est la chasse historique à la baleine qui a décimé les populations entre la fin du 19e siècle jusqu’à son interdiction par la Commission Baleinière Internationale (CBI) en 1966. Dans l’Atlantique Nord, 11 000 rorquals bleus auraient été capturés avant les années 1960 (Sigurjònsson et Gunnlaugsson, 1990), dont 1 500 dans les eaux de l’est du Canada entre 1898 et 1915 (Sergeant, 1966; Mitchell, 1974a, b). Il est estimé que la chasse à la baleine a réduit la population de rorquals bleus d'environ 70 %. Actuellement, la taille de la population de l’Atlantique Nord-Ouest n’est pas connue, mais il est peu probable que le nombre d’animaux matures excède 250 individus (Sears et Calambokidis, 2002). Par conséquent, la population pourrait faire face à une baisse de diversité génétique qui pourrait avoir des répercussions sur les individus (p. ex. fécondité réduite, diminution de la résistance aux maladies) ou sur la population (p. ex. réduction du taux de croissance de la population) (Lacy, 1997). Cette dernière pourrait également être soumise à l’effet AlleeNote de bas de page 4, ce qui pourrait nuire considérablement au rétablissement de cette population.

Parmi les menaces identifiées qui nuisent actuellement au rétablissement de la population de rorquals bleus de l’Atlantique Nord-Ouest depuis la fin de la chasse commerciale, les auteurs du rapport de situation du COSEPAC (Sears et Calambokidis, 2002) mentionnent : le trafic maritime, les perturbations causées par les activités d'observation des baleines, les emmêlements dans les engins de pêche, la pollution, l’influence des changements climatiques sur l’abondance des proies, l’emprisonnement dans les glaces et la prédation. Dans le présent programme de rétablissement, neufs menaces ont été répertoriées en plus de la chasse et des mortalités naturelles (c.-à-d. causées par l’emprisonnement dans les glaces et la prédation). Les menaces ont été classées en trois catégories de risque en fonction de leur probabilité d’occurrence ou de la gravité de leur effet théorique sur le rorqual bleu : risque élevé, moyennement élevé et moins élevé. Cette liste de priorité des menaces (Annexe 1) est établie sur la base des connaissances actuelles (qui sont limitées et fondées principalement sur l’observation de rorquals bleus dans la région de l’estuaire et du golfe du Saint-Laurent) et pourrait changer selon l’évolution des connaissances ou du contexte lui-même. À cause de la petite taille de la population de rorquals bleus dans l’Atlantique Nord-Ouest, même les activités affectant un faible nombre d’individus pourraient avoir une incidence grave sur la santé de la population.


1.5.1 Chasse

Trois types de chasse peuvent menacer les populations de cétacés : la chasse commerciale, la chasse de subsistance et la chasse à des fins scientifiques (Clapham, et coll., 1999). Malgré un moratoire international de la CBI sur la chasse commerciale depuis 1966, certains pays continuent de chasser les baleines sous forme de chasse à des fins scientifiques, tel le Japon, ou commerciales, telle la Norvège. Selon une analyse génétique de la viande de baleine disponible dans les marchés au Japon et de la Corée du Sud, la viande de rorqual bleu, de rorqual commun (Balaenoptera physalus), de rorqual à bosse (Megaptera novaeangliae) et de plusieurs autres espèces protégées par la CBI serait toujours vendue (Baker, et coll., 2000). De plus, l’ancienne Union Soviétique a continué de chasser certaines espèces de baleines, incluant le rorqual bleu, après l’entrée en vigueur du moratoire en 1966, tuant approximativement 8 000 rorquals bleus (Zemsky et coll., 1995, 1996 dans Clapham, et coll., 1999; Yablokov et coll., 1998 dans Clapham et coll., 1999).

Au Canada, le Règlement canadien sur la chasse à la baleine interdit la chasse à l’intérieur de la zone économique exclusive du Canada. De plus, le rorqual bleu est protégé par l’article 32(1) de la Loi sur les espèces en péril qui stipule qu’ « Il est interdit de tuer un individu d'une espèce sauvage inscrite comme espèce disparue du pays, en voie de disparition ou menacée, de lui nuire, de le harceler, de le capturer ou de le prendre ». En ce qui concerne la chasse de subsistance pratiquée par les peuples autochtones, un permis ou une exemption seraient nécessaires, mais cette chasse n’a pas cours au Canada. La chasse à la baleine demeure donc une source de mortalité anthropique potentiellement importante pour les grands cétacés. Toutefois, comme il est peu probable que la chasse commerciale au rorqual bleu reprenne dans un avenir rapproché dans l’Atlantique Nord-Ouest, la chasse à la baleine n’est pas considérée comme une menace à l’heure actuelle au Canada.


1.5.2 Mortalités naturelles

1.5.2.1 Glaces

La glace transportée par le vent et par les courants à la fin de l'hiver et au début du printemps peut occasionner des blessures chez les rorquals bleus. Ceux-ci peuvent même périr par anoxie (absence d’oxygénation) ou écrasés par la glace en mouvement. Un faible pourcentage d’individus observés dans le Saint-Laurent portent d’ailleurs des cicatrices dorsales causées par un contact avec la glace (Sears, et coll., 1990; Sears, communication personnelle).

Entre 1868 et 1992, 23 événements d’emprisonnement par les glaces impliquant un à quatre rorquals bleus ont été rapportés, pour un total de 41 individus au sud-est de Terre-Neuve. Lorsque l’information est disponible, ces évènements sont survenus entre mars et avril. Parmi les rorquals bleus emprisonnés, 28 sont morts, cinq se sont échappés et huit ont connu un sort qui demeure inconnu. La majorité des individus décédés et examinés étaient matures (c.-à-d. longueur de 21 à 25 m). Deux des six rorquals bleus sexés étaient des femelles dont une gestante (Stenson, et coll., 2003).

1.5.2.2 Prédation

Le seul prédateur connu du rorqual bleu est l’épaulard (Perry, et coll., 1999; Sears, 2002), mais les connaissances sur la fréquence de ces attaques et sur leur fatalité sont déficientes (Reeves, et coll., 1998). Ce prédateur s’attaque à plusieurs espèces de cétacés, dont les baleines de grande taille (Jefferson, et coll., 1991). Des cas récents d’attaques mortelles sont répertoriés entre autres sur un groupe de cachalots, Physeter macrocéphales et envers des petits rorquals, Balaenoptera acutorostrata (Pitman, et coll., 2001; Ford, et coll., 2005). Des cas ont aussi été rapportés chez le rorqual bleu (Jefferson, et coll., 1991), dont celui où près de 30 épaulards avaient exécuté une attaque mortelle concertée contre un jeune rorqual bleu au large de la Basse-Californie (Tarpy, 1979).

Les épaulards font avec leurs dents, des marques caractéristiques en forme d’empreinte de râteau sur leurs victimes. Chez les rorquals bleus fréquentant le Saint-Laurent, rares sont les spécimens portant ces marques distinctives. Du côté du Pacifique, dans la mer de Cortez où les épaulards sont plus abondants, 25 % des rorquals bleus portent ces traces d’attaque (Sears et Calambokidis, 2002).

Les connaissances sur la population d’épaulards de l’Atlantique sont limitées (Baird, 2001). Ils y sont peu abondants. Des individus ont été aperçus occasionnellement sur les côtes du Labrador, de Terre-Neuve, de Nouvelle-Écosse et dans le golfe du Saint-Laurent (Baird, 2001). La diminution de la population de bélugas du Saint-Laurent (Delphinapterus leucas), une proie importante pour les épaulards, pourrait expliquer en partie le faible nombre d’épaulards observés depuis les dernières décennies (Mitchell et Reeves, 1988).


1.5.3 Menaces d’origine anthropique à risque élevé

1.5.3.1 Bruits d’origine anthropique : dégradation de l’environnement acoustique et modification du comportement du rorqual bleu

Les rorquals bleus produisent des sons de très basses fréquences (< 200 Hz) dont la fonction est toutefois mal connue (Ketten, 1998; Mellinger et Clark, 2003; Berchok, et coll., 2006; McDonald, et coll., 2006a). Ces sons pourraient servir à sonder l’environnement, à localiser les aires d’alimentation ou à communiquer entre les individus sur de courtes et de longues distances (Richardson, et coll., 1995; Stafford, et coll., 1998; McDonald, et coll., 2001; Stafford, et coll., 2007). Les rorquals bleus pourraient aussi transmettre des informations à propos de leur localisation ou de leur statut reproducteur afin de permettre la coordination des activités de reproduction (Richardson, et coll., 1995). Certains de ces sons de basses fréquences deviennent difficiles à détecter en présence d’un niveau de bruit ambiant plus élevé (Mouy, 2007; Stafford, et coll., 2007; Simard et Roy, 2008; Simard, et coll., 2008). Selon la fonction de ces sons, il est possible que certains comportements soient affectés.

Dans les océans, le niveau de bruit d’origine anthropique, provenant des activités sismiques, du trafic maritime, des explosions, des sonars à basse fréquence et de l’activité industrielle et militaire, est en augmentation depuis les 50 dernières années (Croll, et coll., 2001; Andrew, et coll., 2002; National Research Council, 2003; McDonald, et coll., 2006b; Tyack, 2008). De plus, la diminution du pH de 0,2 à 0,3 de l’eau profonde de l’estuaire du Saint-Laurent (M. Starr, MPO, communication personnelle) causée par les changements climatiques combinés à l’eutrophisation pourrait favoriser la propagation du bruit d’origine anthropique sur de plus grandes distances et affecter la communication chez les cétacés dans l’Estuaire. Hester et coll. (2008) ont démontré qu’une diminution de pH de 0,3 résulterait en une diminution de l’ordre de 40% de l’absorption par les masses d’eau du bruit aux fréquences inférieures à 10 kHz. Le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) prévoit que le pH des eaux de surface des océans mondiaux devrait aussi diminuer d’environ 0,3 d’ici 2050 (Brewer, 1997) ce qui pourrait augmenter la propagation du bruit anthropique dans toute l’aire de répartition du rorqual bleu.

Ces bruits anthropiques pourraient avoir un effet négatif sur les mammifères marins : 1) en altérant leur habilité à percevoir passivement leur environnement, à détecter les sons émis par les autres mammifères marins ou tous les autres sons; 2) en induisant des modifications comportementales; 3) en modifiant la sensibilité auditive ou encore en infligeant des blessures pouvant, dans certains cas, être mortelles (Richardson, et coll., 1995; Southall, 2005; Nowacek, et coll., 2007; Weilgart, 2007; Stockin, et coll., 2008). Ce troisième point sera traité à la section 1.5.5.1 « Bruit d’origine anthropique : dommages physiques ».

Dans un océan de l’ère préindustrielle, l’appel d’un rorqual bleu pouvait être entendu sur des distances de 100 à 1000 milles marins alors que de nos jours dans nos océans plus bruyants, la communication pourrait être réduite à 10 à 100 milles marins (Clark, 2003). Bien que la fonction des sons émis ne soit pas établie avec certitude, il a été suggéré qu’une réduction de la distance de communication pourrait nuire à la reproduction des rorquals bleus en diminuant l’efficacité des mâles à communiquer avec les femelles réceptives (Croll, et coll., 2002). Une telle nuisance pourrait être significative pour une population de faible taille (National Research Council, 2003), comme c’est le cas pour le rorqual bleu. Dans l’hypothèse que le bruit ambiant a un effet significatif sur la capacité des rorquals bleus à se localiser pour la reproduction ou pour toute autre activité cruciale, le bruit de nature anthropique pourrait constituer un facteur susceptible d’affecter négativement le recrutement et le rétablissement de cette population (Croll, et coll., 2002).

1.5.3.2 Disponibilité de la nourriture

Le régime alimentaire limité (sténophagie) des rorquals bleus ainsi que leur exigence pour des sites à forte densité de proies rendent ces derniers particulièrement vulnérable aux changements touchant l’abondance ou la répartition de leurs proies (Croll, et coll., 1998; Clapham, et coll., 1999; Acevedo-Gutièrrez, et coll., 2002). Une diminution des ressources alimentaires pourrait avoir des conséquences importantes pour la population, et plus particulièrement pour le recrutement. Par exemple, Greene et coll. (2003) ont démontré que le recrutement chez la baleine noire de l’Atlantique (Eubalaena glacialis) est affecté par la disponibilité des ressources alimentaires.Dans un contexte où les ressources alimentaires sont limitées, une femelle rorqual bleu post-lactante pourrait ne pas accumuler suffisamment d’énergie pour la conception ou la période d’allaitement subséquente et, par conséquent, pourrait avorter ou donner naissance à un baleineau inapte à la survie (Lockyer, 1984).

En plus des modifications naturelles du climat océanique, trois causes anthropiques pourraient avoir une incidence sur la disponibilité du krill pour les rorquals bleus. Premièrement, la présence accrue de poissons pélagiques consommateurs de krill tels que le capelan (Mallotus villosus) et le hareng (Clupea harengus) pourrait limiter la disponibilité de cette ressource alimentaire pour les rorquals bleus (c.-à-d. compétition inter-spécifique). Depuis les dernières décennies, la répartition et l’abondance des poissons pélagiques ont considérablement changé dans l’estuaire et le golfe du Saint-Laurent à la suite du déclin de leurs prédateurs, la morue franche (Gadus morhua) et le sébaste (Sebastes spp.), causé entre autres par la pêche commerciale (CAFSAC, 1994; Gascon, 2003). Les cétacés et les phoques les ont progressivement remplacés comme principaux prédateurs des poissons pélagiques (Savenkoff, et coll., 2004; Savenkoff, et coll., 2006), mais leur pression de prédation est plus faible que celle exercée auparavant par les poissons de fond (Savenkoff, et coll., 2007). L’impact du relâchement de cette pression de prédation sur les poissons pélagiques est incertain, mais il pourrait avoir provoqué un accroissement de leur abondance (Worm et Myers, 2003).

Par ailleurs, les relevés scientifiques annuels de Pêches et Océans Canada (MPO) semblent démontré une expansion importante de l’aire de répartition du capelan dans l’ensemble du golfe du Saint-Laurent au cours des années 1990 (MPO, 2001). Des observations parallèles documentent une présence accrue d’espèces de cétacés telle que le rorqual à bosse (Megaptera novaeangliae) dans le nord du golfe du Saint-Laurent (R. Sears, MICS, données non publiées). Ces prédateurs opportunistes et plus généralistes ciblent tant le macrozooplancton que les poissons pélagiques (Mitchell, 1975; Borobia, et coll., 1995). Toutes ces observations semblent supporter l’hypothèse d’une modification profonde dans la structure trophique de l’écosystème du Saint-Laurent, ce qui a pu ou pourrait éventuellement modifier la répartition et l’abondance des rorquals bleus. Par exemple, la région des îles Mingan dans le golfe du Saint-Laurent, était un secteur hautement fréquenté par les rorquals bleus dans les années 80, ce qui n’est plus le cas actuellement (R. Sears, MICS, communication personnelle).

Ensuite, l’exploitation commerciale du krill dans le golfe Saint-Laurent pour l’industrie nutraceutique pourrait réduire la disponibilité de cette ressource alimentaire pour le rorqual bleu. Cependant, depuis 1998, un moratoire sur l’émission de nouveaux permis qui vise toutes les espèces fourragères inexploitées (incluant le krill) a été décrété par le ministre des Pêches et des Océans et demeure toujours en vigueur dans l’est du Canada.

Finalement, les changements climatiques pourraient engendrer des modifications du climat océanique qui risquent d’avoir une incidence sur la productivité primaire ainsi que sur la répartition ou l’abondance des proies des mammifères marins (Harwood, 2001). Les effets à long terme du réchauffement planétaire, qui se déroule d’ailleurs à un rythme plus rapide que ce qui avait été prévu, sont difficiles à prévoir, mais il pourrait entraîner une augmentation de la température moyenne entre 1,5 °C et 5,5 °C d’ici 2050 dans le centre et le sud du Québec (Bourque et Simonet, 2008). De 1960 à 2003, un réchauffement du climat, entre 0,4 °C et 2,2 °C, a été constaté dans plusieurs régions du Québec méridional (Yagouti, et coll., 2006). Du côté du Canada Atlantique, la tendance régionale des températures saisonnières de 1948 à 2005, révèle un réchauffement général de 0,3 °C avec une hausse plus importante l’été (+ 0,8 °C). D’ici 2050, la température estivale montera de 2 à 4 °C dans l’Atlantique Canadien (revue par Vasseur et Catto, 2008).

Des changements similaires sont attendus dans d’autres écosystèmes fréquentés par le rorqual bleu. Par exemple, du côté du Pacifique, l’augmentation de la température de l’eau de surface a occasionné une diminution de l’abondance du zooplancton depuis les années 1970 (Roemmich et McGowan, 1995). Les changements climatiques pourraient affecter les ressources alimentaires du rorqual bleu via : 1) la production des euphausiacés entrant dans son alimentation dont Thysanoessa raschi et 2) les processus de concentration du krill sur les sites d’alimentation. Sous un des scénarios de changement climatique, l’habitat de l’espèce T. raschi, associé à la nappe d’eau intermédiaire froide (Simard, et coll., 1986), pourrait diminuer avec des effets inconnus à moyen terme sur la production de cette espèce. La circulation estuarienne en deux couches de l’estuaire et du golfe du Saint-Laurent, qui est présumée être à la base des agrégations de krill et qui dépend du débit d’eau douce du Saint-Laurent et de la stratification verticale de la colonne d’eau (Saucier et Chassé, 2000; Saucier, et coll., 2003; Smith, et coll., 2006), risque aussi d’être affectée par les changements climatiques.

Dans l’Atlantique Nord-Ouest, Greene et coll., (2003) ont émis l’hypothèse que la modification du climat océanique aura un impact négatif sur le recrutement et le rétablissement de la baleine noire de l’Atlantique en raison d’un déclin de l’abondance de ses ressources alimentaires, soit le zooplancton, principalement les copépodes. Considérant que le rorqual bleu est également une espèce sélective quant à son choix de nourriture, des répercussions semblables du climat sur les ressources alimentaires des rorquals bleus dans l’Atlantique Nord-Ouest pourraient affecter le rétablissement de l’espèce. Par conséquent, il est possible que ces changements climatiques affectent les zones d’alimentation actuelles mais les connaissances disponibles sont insuffisantes pour prédire dans quel sens.


1.5.4 Menaces d’origine anthropique à risque moyennement élevé

1.5.4.1 Contaminants

Les sources de contaminants dans le milieu aquatique sont multiples (p. ex. rejets agricoles, industriels et municipaux, navigation, dragage, exploitation gazière et pétrolière, aquaculture), tout comme leurs effets sur les mammifères marins (p. ex. dépression du système immunitaire, altération des capacités de reproduction, lésions et cancers) (Colborn et Smolen, 1996; Aguilar, et coll., 2002).

La présence de biphényles polychlorés (BPC) et autres organochlorés a été notée chez les rorquals bleus fréquentant les eaux du Saint-Laurent (Gauthier, et coll., 1997; Koenig, et coll., 1999).Les niveaux de contamination, bien qu'inférieurs à ceux mesurés chez le béluga du Saint-Laurent, possiblement à cause de différences dans leurs régimes alimentaires et de leurs temps de résidence dans le Saint-Laurent (O'Shea et Brownell Jr, 1994; Angell, et coll., 2004; Lebeuf, et coll., 2007), sont suffisamment élevés pour déclencher une activité anormale de certains cytochromes, ce qui laisse entrevoir d’éventuels effets biologiques pour leur santé (Angell, et coll., 2004).

L’impact des contaminants sur les rorquals bleus est difficile à cerner puisque cette menace englobe un grand nombre de variables et dépend de plusieurs facteurs déterminants tels que l’âge, le sexe, la durée de l’exposition, l’intensité de l’exposition, la saison et l’état nutritionnel (Colborn et Smolen, 1996). Les rorquals bleus peuvent mobiliser leurs réserves de graisse en hiver, ce qui contribue à augmenter leur exposition aux contaminants (Colborn et Smolen, 1996). Généralement, les concentrations de contaminants augmentent avec l’âge chez les mâles, alors qu’elles diminuent chez les femelles matures à cause du transfert de contaminants à leurs jeunes (O'Shea et Brownell Jr, 1994; Metcalfe, et coll., 2004). En effet, pendant la gestation et l’allaitement, une partie des contaminants présents chez la mère est transmise au jeune. Ce transfert est un problème sérieux qui peut engendrer des niveaux de contaminants aussi élevés chez les baleineaux de l’année que chez leur mère (p. ex. Metcalfe, et coll., 2004). Bien qu’il n’y ait pour l’instant aucune raison de croire que les contaminants ont un effet létal chez les mysticètes (O'Shea et Brownell Jr, 1994), il y a suffisamment d’évidence pour soupçonner que certains contaminants puissent altérer le potentiel reproducteur et la santé des cétacés (Colborn et Smolen, 1996). Par conséquent, l’amélioration des connaissances est nécessaire afin de mieux évaluer le risque réel que représentent les contaminants pour le rorqual bleu de l’Atlantique Nord-Ouest.

1.5.4.2 Collisions avec les navires

En plus de déranger les activités se déroulant à la surface de l’eau comme la respiration, l’alimentation, la socialisation et les soins au jeune, les navires peuvent heurter les mammifères marins et occasionner des blessures importantes ou la mort. La plupart des blessures graves ou mortelles seraient causées par des navires voyageant à 14 nœuds ou plus (26 km/h), tels les porte-conteneurs et autres navires de fort tonnage, soit d’une longueur de 80 m et plus (Laist, et coll., 2001). Vanderlaan et Taggart (2007) ont également démontré que la probabilité qu’une collision soit fatale à une baleine de grande taille augmente rapidement à des vitesses se situant entre 8,6 et 15 nœuds. Jensen et Silber (2004) estiment qu’au moins 70 % des collisions impliquant des baleines de grande taille sont fatales.

Les individus qui se déplacent le long des zones côtières habitées ou dans les zones traversées par un chenal maritime achalandé, comme l’estuaire du Saint-Laurent, sont les plus vulnérables aux collisions avec les navires (Clapham, et coll., 1999; Laist, et coll., 2001). Selon le Bureau d’audiences publiques sur l’environnement, plus de 12 000 mouvements de navires ont été recensés en 2003 dans l’Estuaire entre Sept-îles et Les Escoumins, dont un peu plus de 6 000 à l’ouest des Escoumins et 226 à Cacouna (Bureau d'audience publique sur l'environnement (BAPE), 2006). Il n’est donc pas étonnant de constater qu’au moins 5 % des rorquals bleus fréquentant le Saint-Laurent portent de profondes blessures et cicatrices attribuables possiblement à des contacts avec l'hélice ou la coque de gros navires (R. Sears, MICS, communication personnelle).

Des mortalités de rorquals bleus à la suite d’une collision avec un navire ont été rapportées dans différents océans (Barlow, et coll., 1997; Laist, et coll., 2001; Reeves, et coll., 2004). Malgré le peu de cas signalés dans l’Atlantique Nord-Ouest, le dénombrement des rorquals bleus dans le Saint-Laurent portant des cicatrices de collision indique que cette menace est réelle et possiblement importante (Sears et Calambokidis, 2002). Il se pourrait que les baleines frappées et tuées par des navires coulent directement au fond sans être détectées, ce qui sous-estimerait l’impact réel de cette menace (Sears et Calambokidis, 2002).

La capacité des rorquals bleus à repérer et à éviter les navires reste indéterminée (Laist, et coll., 2001). Le repérage sonore adéquat des gros navires peut être difficile étant donné que la source principale, l’hélice, est située à l’arrière et que la longue coque fait obstacle à la propagation du bruit vers l’avant. Ainsi la zone la moins bruyante se trouve à la proue (Arveson et Vendittis, 2000), dans la direction d’avancée du navire, là ou le risque de collision est le plus élevé. Les baleineaux et les juvéniles sont probablement plus vulnérables que les adultes puisqu’ils passent plus de temps en surface et qu’ils ont moins d’expérience pour éviter les bateaux (Laist, et coll., 2001). Étant donné le faible nombre de rorquals bleus dans l’Atlantique Nord-Ouest, la perte de quelques individus par année peut représenter un obstacle important au rétablissement de cette population (Laist, et coll., 2001). Lorsque l’habitat essentiel et la répartition de l’espèce seront mieux connus dans l’Atlantique Nord, il sera plus facile d’évaluer l’importance de cette menace pour la population de rorquals bleus.

1.5.4.3 Observations des baleines

La croissance des activités d'observation des baleines par les croisiéristes et les plaisanciers représente une menace importante pour de nombreux cétacés des zones côtières, incluant le rorqual bleu. Dans l’estuaire et le golfe du Saint-Laurent, plusieurs sites fréquentés par les rorquals bleus attirent une quantité importante de touristes depuis un certain nombre d’années. Par exemple, en 2005, Parcs Canada estime à près de 275 000 le nombre de personnes participant à une activité d’observation en mer des mammifères marins dans le parc marin Saguenay-Saint-Laurent. Dans l’estuaire du Saint-Laurent, jusqu’à 50 bateaux de croisière sillonnent quotidiennement les eaux à la recherche des cétacés. À plusieurs occasions, jusqu’à treize embarcations ont déjà été observées simultanément à moins de 20 mètres de rorquals bleus (Sears et Calambokidis, 2002). Le rorqual bleu est aussi une cible importante pour l’observation dans la région de la Gaspésie. À plusieurs reprises, des bateaux d’observations ont été vus à moins de 200 m d’individus de cette espèce (Pieddesaux, et coll., 2007). De plus, les équipes de scientifiques pratiquant des activités de recherche qui visent à enrichir les connaissances sur l’espèce doivent s’approcher à moins de 25 m des rorquals bleus (p. ex. prise de biopsie, pose d’enregistreur de données), ce qui peut occasionner du stress chez ces animaux.

Les activités d’observation des baleines peuvent déranger les cétacés durant les activités quotidiennes essentielles à leur survie, soit le repos, l’alimentation, l’évitement des prédateurs, la communication, la socialisation, l’accouplement et les soins aux baleineaux. Lorsque ces perturbations sont répétitives ou soutenues, elles peuvent nuire à la survie des individus et à la conservation de l’espèce. Qui plus est, la dépendance démontrée par ces animaux envers certains habitats mène à leur regroupement et à la concentration des activités d’observations dans ces endroits importants (Lien, 2001).

Aucune étude à long terme sur l’effet des activités d’observation des baleines n’a été réalisée dans l’estuaire ou le golfe du Saint-Laurent (Lien, 2001). Parmi les changements de comportement observés à court terme chez différentes espèces de cétacés, des modifications dans les activités de nage, de plongée, de respiration, de vocalise, d’alimentation, de repos, de socialisation, d’allaitement et d’acrobatie aérienne ont été observées de même que l’abandon d’habitats fréquentés (Great Barrier Reef Marine Park Authority (GBRMPA), 2000 dans Lien, 2001). Les cétacés peuvent être forcés de se diriger vers des régions sous-optimales et deviennent alors incapables de combler adéquatement leurs besoins (International Fund for Animal Welfare (IFAW), 1997 dans Lien, 2001). Il y a un coût associé à ces changements de comportement ou d’habitat, ce qui peut réduire la capacité des rorquals bleus à emmagasiner des réserves énergétiques essentielles en période d’alimentation intense pour assurer ultérieurement le succès de la reproduction et leur survie pendant les périodes où l’alimentation est restreinte (Richardson, et coll., 1995; National Research Council, 2003).


1.5.5 Menaces d’origine anthropique à risque moins élevé

1.5.5.1 Bruits d’origine anthropique : dommages physiques

En plus de pouvoir masquer les sons produits par les rorquals bleus et d’affecter leurs comportements (section 1.5.3.1 « Bruits d’origine anthropique : dégradation de l’environnement acoustique et modification du comportement du rorqual bleu »), les bruits de forte amplitude ou de longue durée d’origine anthropique peuvent provoquer chez les cétacés des modifications temporaires ou permanentes des seuils d’audition, la production d’hormones de stress ou des dommages physiques tels que des lésions internes pouvant mener à la mort (Ketten, et coll., 1993; Crum et Mao, 1996; Evans et England, 2001; Finneran, 2003; National Research Council, 2003; MPO, 2004). Chez plusieurs espèces, les connaissances sont insuffisantes pour établir avec précision les niveaux sonores perçus aux différentes fréquences et si ces sons peuvent mener à des dommages physiques (Richardson, et coll., 1995; National Research Council, 2003; MPO, 2004; Southall, et coll., 2007).

C’est pendant des recherches sismiques ou lors de l’utilisation de sonar basse fréquence actif que l’on enregistre habituellement les plus hauts niveaux de bruit (Richardson, et coll., 1995). Les oreilles des mammifères partagent certaines similarités structurales avec celles d’autres vertébrés (Fay et Popper, 2000) et plusieurs études sur différentes espèces de vertébrés indiquent qu’il est possible que l’exposition à des bruits intenses produits par des canons à air pourraient endommager les oreilles des cétacés si ceux-ci ne peuvent éviter la source sonore (McCauley, et coll., 2003; Popper, et coll., 2003; Cox, et coll., 2006; Lawson, 2007; Southall, et coll., 2007).

Le bruit de forte amplitude provenant d’explosions sous-marines, par exemple pour le dynamitage pendant la démolition ou construction d’infrastructures et lors de la fermeture de plate-forme de forage, peut aussi causer des blessures ou la mort des cétacés situés à proximité. Un bruit fort de type impulsif issu du dynamitage du plancher océanique aurait possiblement causé la mort de deux rorquals à bosse retrouvés dans des filets de pêche dans la région de Terre-Neuve. Ils présentaient tous deux des lésions significatives à l’os temporal et des fractures à l’appareil auditif (Ketten, et coll., 1993).

Même en l’absence d’effet physique direct résultant d’une exposition aux bruits anthropiques, il est possible que la modification du comportement en réaction aux bruits provoque des effets négatifs (National Research Council, 2005). Jepson et coll. (2003) rapportent la mortalité d’une dizaine de cétacés suite à la formation de bulles d’air dans leurs organes vitaux, dans un secteur où des sonars militaires avaient été utilisés dans les heures précédentes. Les sons produits auraient possiblement induit une remontée précipitée de ces plongeurs de grandes profondeurs, causant ainsi ces lésions (Jepson, et coll., 2003).

1.5.5.2 Prises accidentelles dans les engins de pêche

La présence de certains engins de pêche pourrait également représenter une menace pour le rorqual bleu puisqu’ils peuvent occasionner la mort par anoxie pour certains individus qui s’y sont emmêlés. Par ailleurs, quand les rorquals bleus réussissent à s’échapper des engins de pêche, ils peuvent se blesser ou en remorquer des sections (p. ex. câbles, bouées) pendant de longues périodes. En 1987, un rorqual bleu a été aperçu au nord de Cape Cod traînant avec lui un câble et une bouée qui semblaient provenir de la pêche au homard (Reeves, et coll., 1998). Dans certains cas, les baleines emmêlées dans des engins de pêche peuvent éprouver des difficultés à se déplacer et à s'alimenter, à tel point que leur reproduction et leur survie peuvent être compromises (Reeves, et coll., 1998; Clapham, et coll., 1999). Les rorquals bleus sont des baleines puissantes qui restent rarement prisonnières des filets de pêche. Malgré cela, trois rorquals bleus prisonniers de filets maillants sont morts dans le Saint-Laurent depuis 1979 (Sears et Calambokidis, 2002). Il est estimé que près de 10 % des rorquals bleus fréquentant le Saint-Laurent portent des cicatrices attribuables à des contacts avec un engin de pêche (R. Sears, MICS, communication personnelle).

Le bruit anthropique pourrait aussi contribuer à masquer la détection des filets de pêche chez certaines espèces de cétacés en affectant leur capacité d’orientation. Ce phénomène a été observé sur la côte est de Terre-Neuve où l’emmêlement de rorquals à bosse dans des filets de pêche a été associé aux bruits produits sur un site de construction, comme les explosions et le forage, qui ont modifié l’environnement acoustique sous-marin (Todd, et coll., 1996). Il demeure difficile d’évaluer l’impact réel du bruit sur la capacité de détection des engins de pêche par les rorquals bleus puisque ces animaux ont tendance à fuir parfois loin du point de contact avec ces engins (Reeves, et coll., 1998; Perry, et coll., 1999). L’environnement sous-marin relativement bruyant du golfe du Saint-Laurent pourrait poser une menace similaire aux rorquals bleus, mais aucune étude n’a encore démontré cette hypothèse.

1.5.5.3 Épizooties et efflorescence d’algues toxiques

Dans l’Atlantique Nord, les cas de mortalités massives chez les mammifères marins causées par les maladies semblent être en augmentation depuis la deuxième moitié du 20e siècle (Harvell, et coll., 1999). Selon Harwood (2001), cette tendance devrait se poursuivre pendant le 21e siècle. Cette augmentation des maladies serait attribuable, entre autres, aux variations climatiques et aux activités humaines entrainant la dégradation de l’habitat et la pollution (Harvell, et coll., 1999). Un nombre important d’agents pathogènes peuvent être transmis aux mammifères marins par les eaux usées municipales, les fosses septiques, les eaux de lixiviation des lieux d’enfouissement, les eaux de ruissellement des terres agricoles et la navigation commerciale (Measures et Olson, 1999; Measures, 2002b, a; Measures, et coll., 2004b). Les mammifères marins qui peuvent être immunodéprimés ou affaiblis par l’exposition à la pollution marine peuvent aussi être exposés à de nouveaux agents pathogènes récemment introduits dans le milieu ou à des agents pathogènes déjà présents et qui s’attaquent à une plus grande diversité d’hôtes (Harvell, et coll., 1999).

Au Canada, les agents pathogènes pouvant entraîner des mortalités massives chez les mammifères marins sont encore mal documentés, mais le risque n’en demeure pas moins bien réel, ce qui pourrait avoir des conséquences importantes pour une population qui possède un faible effectif comme celle des rorquals bleus de l’Atlantique Nord-Ouest. Selon Nielsen et coll. (2000), Mikaelian et coll. (1999) et MPO (2007), les risques d’épizootie virale, surtout pour le béluga, sont présents, mais ils ne sont pas encore évalués dans le Saint-Laurent. Les virus, incluant les morbillivirus, sont particulièrement dangereux puisqu’ils peuvent causer des épizooties très rapidement. Le dauphin à flancs blancs (Lagenorhynchus acutus), un visiteur du Saint-Laurent, et le globicéphale noir (Globicephala melas), un autre visiteur, quoique plus rare, constituent les réservoirs de ces virus. Il convient de noter que les changements climatiques risquent d’entraîner une plus grande fréquentation du Saint-Laurent par de nouvelles espèces de mammifères marins comme le cachalot pygmée, Kogia breviceps (Measures, et coll., 2004a), augmentant ainsi le risque d’exposition à de nouvelles maladies (MPO, 2007). De plus, selon Measures (2004), les programmes de réhabilitation d'animaux sauvages peuvent aussi poser de graves risques pour les populations sauvages à cause de la possibilité d'introduction d'agents pathogènes nouveaux ou exotiques au sein de celles-ci.

1.5.5.4 Déversements de produits toxiques

Les impacts d’un déversement de produits toxiques pour le rorqual bleu sont très variables et difficiles à évaluer. Bien que la plupart des cétacés évitent les nappes de pétrole à la surface de l’eau, ils peuvent entrer accidentellement en contact avec celles-ci (p. ex. Harvey et Dahlheim, 1994; Matkin, et coll., 1994; Smultea et Wursig, 1995). Les risques de contamination associés à un contact direct sont faibles chez les mammifères marins, car l’épiderme des cétacés est une barrière efficace (Geraci, 1990). Les déversements de pétrole peuvent tout de même constituer un risque pour les mammifères marins puisque les vapeurs toxiques peuvent endommager les tissus sensibles comme les membranes des yeux, de la bouche et des poumons (Geraci et Aubin, 1990). De plus, les mammifères marins peuvent ingérer le produit déversé soit directement ou par l’intermédiaire de proies contaminées, ce qui risque d’occasionner différents effets toxiques et physiologiques (Geraci et Aubin, 1990). Des cas d’intoxications gastro-intestinales et pulmonaires ont déjà été rapportés (Geraci, 1990). Finalement, les fanons des mysticètes, comme ceux des rorquals bleus, peuvent temporairement être engorgés des produits déversés, ce qui risque de nuire à l’alimentation et peut favoriser l’ingestion de produits pétroliers.

Le transport maritime de produits pétroliers et d’autres produits toxiques comme le chlore, la bauxite ou le sulfite, est important dans l’Atlantique, notamment dans l’estuaire du Saint-Laurent qui possède des conditions océanographiques particulières tels le brouillard fréquent et les courants de marées intenses. Le transport maritime constitue ainsi une source potentielle de catastrophe environnementale susceptible d’avoir un impact sur le rorqual bleu (Savaria, et coll., 2003). L’exploitation de gisements pétroliers ou gaziers le long des côtes de l’Atlantique Nord-Ouest et dans le golfe du Saint-Laurent présente aussi un risque additionnel de pollution. Le déversement de produits toxiques est donc une menace potentielle à ne pas négliger.

1.6 Mesures déjà achevées ou en cours

1.6.1 Protection du rorqual bleu

1.6.1.1 Protection légale internationale

Cette espèce est protégée de la chasse à l’échelle internationale par la Commission baleinière internationale (CBI) depuis 1966. Le rorqual bleu est classé dans la catégorie « protégée », puisque les stocks sont estimés être inférieurs de 40 % à l’effectif requis pour supporter un rendement durable maximal. Cette espèce est également désignée « en voie de disparition » par l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN). La Convention sur le commerce international des espèces de faune et de flore sauvages menacées d’extinction (CITES) a inscrit le rorqual bleu dans son annexe 1, qui regroupe les « espèces menacées d’extinction et dont le commerce international est interdit ». Aux États-Unis, le rorqual bleu est désigné « en voie de disparition » en vertu de la « Endangered Species Act » et de la « Marine Mammal Protection Act ».

1.6.1.2 Protection légale canadienne

Au Canada, le rorqual bleu a été légalement inscrit et protégé en tant qu’espèce « en voie de disparition » en vertu de la LEP en janvier 2005. L’inscription en vertu de cette loi interdit : de tuer un individu de l’espèce, de lui nuire, de le harceler, de le capturer ou de le prendre. Cette loi interdit aussi d’endommager ou détruire la résidence ou un élément de l’habitat essentiel de l’espèce. Elle comprend des dispositions pour protéger l’habitat essentiel et exige l’élaboration d’un programme de rétablissement et d’un plan d’action pour chacune des espèces inscrites.

Depuis 1993, le rorqual bleu est protégé par le Règlement sur les mammifères marins de la Loi sur les pêches en vertu duquel il est interdit d’importuner un mammifère marin. Une consultation publique est en cours depuis 2005 pour modifier le Règlement sur les mammifères marins afin d’élaborer sur le concept de perturbation des mammifères marins pour le rendre plus compréhensible par le public et pour fournir un point de référence à partir duquel on estime qu’il y a perturbation. Ces modifications (p. ex. capacité d’émettre un permis destiné à l’industrie d’observation des baleines, obligation de rapporter tous les contacts physiques avec un cétacé et d’éviter de s’approcher à moins de 100 mètres de tout cétacé) visent à protéger les processus vitaux normaux des mammifères marins.

Les ressources alimentaires du rorqual bleu sont protégées de la pêche depuis 1998. En effet, un moratoire sur l’émission de nouveaux permis qui vise toutes les espèces fourragères inexploitées (incluant le krill) a été décrété par le ministre des Pêches et des Océans et demeure toujours en vigueur dans l’est du Canada.

Les individus qui fréquentent les aires patrimoniales protégées, administrées par Parcs Canada, soit le parc marin Saguenay–Saint-Laurent et les eaux du parc national de Forillon, sont protégés en vertu de la Loi sur les parcs nationaux du Canada, de la Loi sur le parc marin du Saguenay–Saint-Laurent et leurs règlements. Il convient aussi de noter que le gouvernement du Québec a inscrit cette espèce sur la liste des espèces susceptibles d’être désignées menacées ou vulnérables (rang provincial S4 et mondial G3G4).


1.6.2 Mesures de protection de l’habitat, sensibilisation et autres mesures

1.6.2.1 Parc marin du Saguenay–Saint-Laurent (PMSSL)

Le PMSSL, d’une superficie de 1245 km2, a été créé en 1998 avec pour objectif de rehausser, au profit des générations actuelles et futures, le niveau de protection des écosystèmes d’une partie représentative du fjord du Saguenay et de l’estuaire du Saint-Laurent aux fins de conservation, tout en favorisant son utilisation à des fins éducatives, récréatives et scientifiques (art. 4, Loi sur le parc marin du Saguenay─Saint-Laurent). Plusieurs mesures de gestion ont été mises en place et sont en cours sur ce territoire pour contribuer au rétablissement du rorqual bleu.

1.6.2.2 Zones de protection marine

De plus, des zones de protection marine (ZPM) ont été créées ou sont présentement à l’étude, en vertu de la Loi sur les Océans (entrée en vigueur en 1997), afin de rehausser le niveau de protection des espèces marines et de leurs habitats.

1.6.2.3 Activités de sensibilisation

Des projets visant à sensibiliser le public et à diminuer les risques de dérangement et de collision avec les navires ont été financés dans le cadre de différents programmes.

1.6.2.4 Intervention auprès des mammifères marins en difficulté

Depuis 2004, le GREMM a mis en place le en collaboration avec divers partenaires, dont le MPO et Parcs Canada. Ce réseau àpour but d’accroître les capacités d’intervention dans les cas d’emmêlement avec des engins de pêches et réduire les mortalités de cétacés résultant d’activités anthropiques dans le golfe et l’estuaire du Saint-Laurent. Avec le support du MPO, un programme similaire a été implanté à Terre-Neuve-et-Labrador, il y a quelques décennies, afin de permettre aux pêcheurs, aux partenaires et au public de rapporter les cas où des mammifères marins sont emmêlés, blessés ou morts, ainsi qu’à une équipe d’intervenir auprès des mammifères marins en difficulté. D’autres groupes de recherche tels que le Centre de recherche sur la vie marine de Grand Manan du Nouveau-Brunswick et le Marine Animal Response Society de la Nouvelle-Écosse, travaillent à la conservation des mammifères marins dans les Maritimes.

1.6.2.5 Guide sur les bonnes pratiques pour l’observation des mammifères marins au Québec

Un guideNote de bas de page 5 sur les bonnes pratiques pour l’observation des mammifères marins au Québec, qui succède au code d’éthique pour l’observation en mer des mammifères marins, a été élaboré par le MPO. L’objectif du guide est de limiter les risques de perturbation lors d’une rencontre avec un mammifère marin. Même si ce guide a été rédigé avant tout pour le grand public, il est également approprié pour les activités commerciales. Il est important de préciser que ces Bonnes pratiques n’ont pas force de loi etne remplacent pas les lois et règlements en vigueur.

1.6.2.6 Énoncé des pratiques canadiennes d’atténuation des ondes sismiques en milieu marin

Le MPO a développé des pratiques canadiennes d’atténuation des ondes sismiques en milieu marin en collaboration avec différents partenaires dans le but d’officialiser et d’uniformiser les mesures d’atténuation canadiennes concernant la réalisation de levés sismiques en milieu marin. Cet énoncé constitue un ensemble de normes de base applicables par les organismes de réglementation pour réduire les effets possibles des levés sismiques sur la faune marine.


1.6.3 Recherches

La population de rorquals bleus de l’Atlantique Nord-Ouest fait l’objet de plusieurs projets de recherche au Canada, principalement dans la région de l’estuaire et du golfe du Saint-Laurent. Voici une liste non exhaustive de certains programmes de recherche.

1.7 Lacunes dans les connaissances

Un atelier sur le développement des priorités de recherche pour la population de rorquals bleus de l’Atlantique Nord-Ouest a eu lieu en 2002 (Lesage et Hammill, 2003). Les lacunes à combler de façon prioritaire sont :

  1. l’amélioration des connaissances concernant la répartition saisonnière, l’abondance, la structure des stocks et les mouvements saisonniers des rorquals bleus;
  2. l’acquisition de connaissances sur les paramètres de la population, tels le taux de reproduction, le rapport entre les sexes et la structure d’âge;
  3. la détermination et la définition des aires d’alimentation et de reproduction ainsi que du pouvoir des processus physiques et biologiques sur la répartition, le comportement et les mouvements des rorquals bleus;
  4. l’amélioration des connaissances sur les menaces qui pèsent actuellement sur le rorqual bleu (p. ex. étudier les niveaux de divers contaminants et différentes sources de bruits dans les habitats et leurs impacts sur le rorqual bleu).

Pour combler les lacunes dans les connaissances, en particulier pour celles concernant les aires de reproduction et d’hivernage, des partenariats avec les divers pays limitrophes de l’Atlantique Nord-Ouest seront essentiels.

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