Couleuvre fauve de l'Est (Elaphe gloydi) évaluation et rapport de situation du COSEPAC : chapitre 5

Mise à jour
Rapport de situation du COSEPAC
sur la
Couleuvre fauve de l'Est
Elaphe gloydi
au Canada

population carolinienne
population des Grands Lacs et du Saint-Laurent
2008

Information sur l'espèce

Nom et classification

Conant (1940) a décrit la couleuvre fauve dans l’ensemble de son aire de répartition et a conclu que les spécimens de l’est différaient des individus typiques de l’ouest tant par leur habitat que par leur coloration. Au vu de ces différences et de l’isolement géographique des deux formes, Conant (1940) a décrit deux sous-espèces, la couleuvre fauve de l’Ouest (Elaphe vulpina vulpina) et la couleuvre fauve de l’Est (E. v. gloydi). Le seul caractère morphologique permettant de distinguer les deux sous-espèces est le nombre de taches dorsales. Chez la couleuvre fauve de l’Ouest, ces taches sont au nombre de 32 à 52 (moyenne = 41), tandis que, chez la couleuvre fauve de l’Est, elles sont au nombre de 28 à 43 (moyenne = 35) et plus grandes (Ernst et Barbour, 1989; Harding, 1997). Toutefois, ce caractère n’est pas infaillible, et l’aire de répartition (aucun chevauchement entre les deux sous-espèces) demeure le meilleur critère pour distinguer les deux sous-espèces (Harding, 1997).

Selon de nombreux auteurs, c’est à l’odeur du musc qu’elle émet lorsqu’elle est dérangée que l’espèce doit son nom latin (vulpina = renard). Toutefois, comme le spécimen sur lequel est fondée la description de Baird et Girard (1853) a été préservé et qu’il a été récolté par un pasteur nommé Charles Fox, ce nom est plus vraisemblablement une traduction latine du nom de la personne qui l’a découvert (Conant, 1940; Rivard, 1979; F. Cook, comm. pers., 1998). En outre, de l’avis des personnes familières avec les odeurs du musc sécrété par la couleuvre fauve et le renard, les deux odeurs se ressemblent peu (J. Wright, comm. pers., 1997). La sous-espèce de l’Est a été nommée en l’honneur de l’herpétologue américain H.K. Gloyd.

Comme les sous-espèces de l’ouest et de l’est sont allopatriques (probablement depuis la glaciation du Wisconsin) et qu’il ne semble exister aucun échange génétique entre elles, Collins (1991) a recommandé d’attribuer à la couleuvre fauve de l’Est le statut d’espèce à part entière, sous le nom d’Elaphe gloydi. Cette proposition a été approuvée à la majorité par un groupe d’étude sur la taxinomie des serpents composé de John E. Cadle, Brian I. Crother, Harry W. Greene, L. Lee Grismer, James A. MacMahon, James R. McCranie et Samuel S. Sweet. Ce changement taxinomique ne faisait cependant pas l’unanimité, et Cook (1991), pour un, était d’avis que le fait d’élever les formes de l’ouest et de l’est au rang d’espèces à part entière aurait pour effet d’occulter d’importantes relations zoogéographiques. Le changement taxinomique (couleuvre fauve de l’Est = E. gloydi) a néanmoins été reconnu dans Crother (2001), qui normalise les noms des espèces de reptiles et d’amphibiens de l’Amérique du Nord, et subséquemment adopté par les organismes fédéraux et provinciaux du Canada. Le statut taxinomique de la couleuvre fauve demeure cependant incertain, au niveau tant spécifique (voir la section « Description génétique ») que générique. Ainsi, à la suite des analyses phylogénétiques récentes de Utiger et al. (2002) et de Burbrink et Lawson (2007), il paraît clairement que le genre nord-américain Elaphe (serpents ratiers du Nouveau Monde), tel qu’il était autrefois considéré, est un assemblage paraphylétique. En conséquence, plusieurs scénarios de reclassification sont à l’étude. Selon Utiger et al. (2002), la couleuvre fauve de l’Est devrait être appelée Pantherophis gloydi. Toutefois, selon l’argumentaire détaillé présenté dans Burbrink and Lawson (2007, p. 186), elle devrait plutôt s’appeler Pituophis gloydi.


Description morphologique

La couleuvre fauve de l’Est atteint couramment une longueur de 91 à 137 cm (longueur museau-cloaque, ou LMC). Des individus mesurant jusqu’à 179 cm ont été observés (Conant et Collins, 1991). Chez les adultes, la tête est brune à rougeâtre et habituellement dépourvue de motifs ou de marques distinctes. La face dorsale comporte des taches bien visibles en forme d’éclaboussures brun foncé ou noires sur un fond jaunâtre qui alternent avec de plus petites taches sur les côtés. Les écailles ventrales sont généralement jaunes, fortement carrelées de noir. Les écailles sont faiblement carénées, et l’écaille anale est divisée. Chez les juvéniles, la couleur de fond est plus pâle (habituellement grise), les taches sont plus claires et bordées de noires, une ligne transversale s’étend du museau jusqu’aux yeux, et une ligne foncée relie les yeux à l’angle des mâchoires (Johnson, 1989; Conant et Collins, 1991). Les lignes foncées qui ornent le dessus de la tête des individus juvéniles s’estompent avec l’âge et deviennent habituellement indistinctes chez les adultes. Très rarement, des individus leucistiques sont découverts parmi les populations sauvages. Un individu mélanistique a été découvert dans un secteur industriel de l’Ohio (Kraus et Schuett, 1983).

Selon les régions, la couleuvre fauve de l’Est porte divers noms en anglais : « timber snake » en Ohio, « hardwood rattler » dans certaines régions de l’Ontario (Johnson, 1989), « womper » dans le sud-ouest de l’Ontario, « marsh womper » à l’île Pelée. Malheureusement, elle est souvent confondue avec le mocassin à tête cuivrée (non présent au Canada) à cause de la couleur rougeâtre de sa tête. En Ontario, elle peut être confondue avec plusieurs espèces de serpents tachetés, dont le Massasauga (Sistrurus catenatus), la couleuvre tachetée (Lampropeltis triangulum), la couleuvre à nez plat (Heterodon platirhinos), la couleuvre d’eau (Nerodia sipedon) et la couleuvre agile bleue (Coluber constrictor foxii) et couleuvre obscure (Elaphe spiloides) d’âge juvénile. Le massasauga est toutefois plus foncé, avec les taches d’un brun plus pâle ou noires, et sa pupille est verticale; il possède en outre une fossette faciale thermosensible et une « sonnette » bien visible à l’extrémité de la queue. La couleuvre tachetée ressemble par sa coloration à la couleuvre fauve de l’Est, mais ses écailles sont lisses, son écaille anale n’est pas divisée, et sa tête est ornée d’un motif caractéristique en Y ou en V. La couleuvre à nez plat se reconnaît facilement à son museau retroussé caractéristique. La couleuvre d’eau a le dos orné d’une série de bandes transversales plutôt que de taches en forme d’éclaboussures. La couleuvre agile bleue d’âge juvénile est également tachetée, mais ses écailles sont lisses, ses écailles ventrales sont de coloration différente, et la bande qui relie l’œil à l’angle de la mâchoire chez la couleuvre fauve de l’Est fait défaut (Harding, 1997). À l’âge juvénile, la couleuvre obscure se distingue de la couleuvre fauve de l’Est (les deux espèces ont alors le dos tacheté) par le nombre d’écailles ventrales, qui s’élève à 221 ou plus chez la couleuvre obscure, comparativement à 216 ou moins chez la couleuvre fauve de l’Est (Conant et Collins 1991).

La couleuvre fauve de l’Est est plus lourde et plus trapue que ses congénères (Froom, 1972). Malgré ses talents de grimpeuse, elle est probablement la moins arboricole des espèces nord-américaines du genre Elaphe. Bonne nageuse, elle peut franchir de grandes distances pour traverser des baies ou se déplacer d’une île à une autre (Froom, 1972; M. Villeneuve, données inédites; MacKinnon, 2005; Lawson, 2005). La couleuvre fauve de l’Est est l’un des serpents ratiers les plus dociles (Staszko et Walls, 1994), mais elle émet souvent une sécrétion glandulaire à l’odeur nauséabonde à partir de ses glandes cloacales lorsqu’elle est dérangée.


Description génétique

Se fondant sur les résultats d’analyses génétiques d’échantillons prélevés parmi des populations de couleuvres fauves de l’Ouest et de l’Est, Corey et al. (2005) ont conclu que les désignations spécifiques actuelles (Elaphe gloydi et E. vulpina) établies sur la base de différences morphologiques et en considération de l’aire de répartition géographique distincte des deux taxons ne reflètent aucune tendance sous-jacente fondamentale de différenciation génétique. Plus précisément, les caractéristiques de l’haplotype, présentes chez la plupart des E. gloydi, s’observent également chez au moins certains E. vulpina. Tel qu’il est actuellement défini, l’E. gloydi ne semble donc pas un clade génétiquement distinct des autres couleuvres fauves (Corey et al., 2005). Ces relations génétiques étant mieux comprises, il est important d’établir si l’E. gloydi est suffisamment distinct de l’E. vulpina pour être considéré comme une espèce à part entière, car l’estimation de la proportion de l’aire de répartition de l’espèce au Canada s’en trouverait modifiée. Row et Lougheed (2006, 2007) mènent actuellement une étude en vue de clarifier et de pousser plus loin l’analyse de Corey et al. (2005) en plus d’examiner les relations génétiques entre les diverses populations de couleuvres fauves en Ontario. Cette étude en est à sa deuxième année et est réalisée dans le cadre des travaux de doctorat de Jeffrey Row.

Row et Lougheed ont déjà fait plusieurs découvertes intéressantes. Ils ont notamment constaté que les populations vivant le long de la baie Georgienne semblent gravement appauvries génétiquement en comparaison des populations du sud-ouest de l’Ontario. Cette disparité donne à croire à l’existence d’un goulot d’étranglement ou d’un effet fondateur (Row et Lougheed, 2006). Une analyse de la variance moléculaire (AMOVA) a révélé qu‘une portion importante et significative de la variation génétique totale était imputable à la différenciation entre les populations régionales (~ 24 p. 100, p < 0,001), et une proportion significative de la variation, à la différenciation entre les sous-populations locales (~ 13 p. 100, p < 0,001). À l‘échelle régionale, toutes les comparaisons appariées des valeurs FST et RST étaient significatives (FST moyenne = 0,25; RST moyenne = 0,25; p < 0,001).

Dans le cadre de travaux plus récents, Row and Lougheed (2007) ont constaté que la structure de population génétique est beaucoup plus prononcée dans la région d’Essex-Kent que dans celle de Haldimand-Norfolk. En bref, Row et Lougheed (2007) ont analysé les séquences d’une dizaine de loci microsatellites chez environ 250 individus et estimé le nombre de populations génétiques dans le sud-ouest de l’Ontario à l’aide d’un programme intégrant des données génotypiques et géographiques. L’analyse des données écologiques et génétiques a mis en évidence une importante fragmentation de l’habitat et des populations à une échelle fine. L’analyse a révélé la présence de cinq grappes ou « populations » bayésiennes, soit quatre dans la région d’Essex-Kent et une dans celle de Haldimand-Norfolk. Aucun signe de flux génétique récent n’a été observé chez aucune de ces populations. La fragmentation semblait moins prononcée dans la région de Haldimand-Norfolk, mais cette conclusion s’appuie sur un faible nombre d’échantillons. En conséquence, d’autres travaux s’imposent pour vérifier ce résultat (Row et Lougheed, 2007).


Unités désignables

La couleuvre fauve de l’Est occupe deux provinces faunistiques : la région de la forêt carolinienne (populations des régions d’Essex-Kent et de Haldimand-Norfolk) et le bassin des Grands Lacs et du Saint-Laurent (populations du littoral de la baie Georgienne). D’importantes différences génétiques existent entre ces trois populations régionales (Row et Lougheed, 2006; idem, 2007; Jeff Row, comm. pers. [courriel], 10 février 2008). Une analyse de l’ADNmt a toutefois révélé que la séparation de ces populations n’est pas antérieure à la dernière glaciation (Corey et al., 2005). La reconnaissance de deux unités désignables (population du bassin des Grands Lacs et du Saint-Laurent et celle du littoral de la baie Georgienne et de la forêt carolinienne) est étayée par les éléments suivants :


Caractère distinct

  1. Des différences génétiques importantes (ADN microsatellites) existent entre les populations du littoral de la baie Georgienne et celles d’Essex-Kent ou de Haldimand-Norfolk.
  2. Il n’y a actuellement aucun flux génétique entre les populations du littoral de la baie Georgienne et celles des deux autres régions, et on ne s’attend pas à ce que la situation change dans l’avenir.
  3. Les populations des deux régions se ressemblent morphologiquement, mais elles présentent des différences comportementales très marquées (voir la section « Biologie »). Ces différences sont peut-être l’expression d’une plasticité phénotypique, mais elles sont peut-être également le reflet d’une variation génétique adaptative.
  4. La province faunique occupée par les populations du littoral de la baie Georgienne est nettement séparée et distincte de celle occupée par les deux autres populations régionales (Essex-Kent et Haldimand-Norfolk). Cette séparation est vraisemblablement ancienne, et l’on ne prévoit aucun échange entre les deux provinces fauniques dans un avenir prévisible. En outre, cette distinction devrait favoriser, si ce n’est pas déjà fait, l’acquisition d’adaptations locales différentes.


Importance

  1. La persistance des deux présumées unités désignables devrait mener à l’acquisition d’adaptations locales, compte tenu des caractéristiques écologiques distinctes dans lesquelles elles évoluent.
  2. Si l’une ou l’autre de ces unités désignables venait à disparaître, un vaste écart se creuserait dans l’aire de répartition de la couleuvre fauve au Canada.
  3. Les populations du bassin des Grands Lacs et du Saint-Laurent représentent une occurrence naturelle unique de l’espèce à l’échelle planétaire, compte tenu de l’habitat unique dans lequel cette unité désignable évolue et de ses caractéristiques écologiques et comportementales particulières.

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