Lamproie de Vancouver (Lampetra macrostoma) programme de rétablissement : chapitre 3


3. Menaces

Étant donné sa répartition extrêmement limitée, la lamproie de Vancouver peut être considérée comme étant extrêmement vulnérable à une multitude de menaces locales. Comme on dispose de très peu d’information sur la biologie générale et l’utilisation de l’habitat pour cette espèce, il est difficile d’évaluer de façon exhaustive les menaces qui pèsent sur elle. Néanmoins, il est possible de relever les menaces générales dont il est question dans les paragraphes suivants.

Utilisation de l’eau -- On recense un certain nombre de permis d’utilisation de l’eau actifs sur le lac Cowichan et ses affluents et un nombre beaucoup plus important en aval, sur la rivière Cowichan et ses affluents. Les permis d’utilisation de l’eau concernant le lac et ses affluents peuvent avoir une incidence sur la lamproie de Vancouver. Des permis d’utilisation de l’eau actifs sont présentés de façon sommaire au tableau 1.

Tableau 1. Résumé des permis d’utilisation de l’eau actifs pour le lac Cowichan,
tiré d’une
requête dans la base de données sur les terres et l’eau en C.-B.
Volume octroyé (m3 / an) But
61 304 950,0 stockage (lac)
4 071,0 stockage (affluent)
2 467 250,2 dérivation (lac)
1 761 084,5 dérivation (affluent)

 

Deux permis de stockage et 60 permis de dérivation ont été octroyés pour le lac Cowichan, et deux permis de stockage et 173 permis de dérivation l’ont été pour les affluents. Les permis les plus importants sont de loin les deux permis de stockage dont dispose Norske Canada (maintenant Catalyst Paper), qui à eux deux totalisent 61 304 950 m3· an-1, que l’on utilise pour accroître le débit de la rivière Cowichan afin d’alimenter les ouvrages de dérivation menant à l’usine de pâte et papier de Crofton; ces permis prévoient un débit minimal dans la rivière à des fins écologiques. Le stockage est assuré par un déversoir de faible hauteur (0,96 m de stockage) à la décharge du lac Cowichan. Au cours de la période humide de l’hiver, le niveau du lac est d’ordinaire plus élevé que le dessus du déversoir, ce qui indique que l’élévation maximale du lac n’a pas été altérée de façon significative depuis l’aménagement du déversoir. Le déversoir est muni de quatre vannes qui régularisent le débit dans la rivière entre le 1er avril et le 30 septembre. Pendant cette période, le niveau du lac et le débit vers la rivière sont régis conformément aux courbes sur les règles de stockage et du programme de débit sortant du ministère de l’Environnement, lesquelles établissent la quantité d’eau stockée au printemps, qui sera retournée dans la rivière à l’été (M. Vessey, Catalyst Paper, communication personnelle). Essentiellement, le déversoir et son mode d’exploitation ne font que libérer les eaux du lac Cowichan de façon plus uniforme tout au long de la saison sèche, comparativement à ce qui se produirait naturellement. Avant l’aménagement du déversoir, les débits de la rivière pouvaient souvent tomber à 1 m3 · sec-1 ou moins, tandis qu’on peut dorénavant le maintenir à 7 m3 · sec-1 pendant un été normal (M. Vessey, Catalyst Paper, communication personnelle).

Le déversoir et le stockage de l’eau peuvent altérer les niveaux du lac et, de ce fait, l’habitat aquatique. Des effets peuvent être ressentis si les niveaux du lac sont élevés ou abaissés ou si les fluctuations diffèrent de la normale. Pour évaluer si les niveaux du lac ont été altérés de façon marquée, nous avons examiné les données sur les niveau du lac recueillies depuis que l’on tient des dossiers à cet égard, c.-à-d. en 1913. Nous avons comparé les données sur les niveaux du lac avant et après la construction du déversoir, en 1957. Le tableau 2 résume les résultats obtenus.

Tableau 2. Résumés de l’élévation de la surface du lac Cowichan avant et après la construction du déversoir (c.-à-d. avant et après 1957).
Les niveaux minimaux et maximaux ainsi que la différence entre ces niveaux sont indiqués pour l’année toute entière ainsi que pour la saison de frai de la lamproie de Vancouver, à savoir de mai à août. Toutes les élévations sont exprimées en mètres (données provenant de la base de données Hydat d’Environnement Canada).
Année Période couverte Min. moyen Max. moyen Différence moyenne
De 1913 à 1956 Toute l’année 0,264 2,899 2,635
De 1957 à 2000 Toute l’année 0,579 3,052 2,473
De 1913 à 1956 De mai à août 0,338 1,358 1,020
De 1957 à 2000 De mai à août 0,864 1,649 0,785

Les fluctuations annuelles sont environ les mêmes pour les deux périodes; elles ont toutefois été légèrement plus stables pendant la période de frai de la lamproie après la construction du déversoir. Les volumes dérivés ne correspondent qu’à environ 6 % des volumes stockés. Le stockage et la dérivation ne semblent constituer au plus qu’une menace mineure pour la lamproie de Vancouver. Il convient de noter, cependant, que cette évaluation est subjective et qu’elle n‘a pas été vérifiée sur le terrain.

Deux autres permis d’utilisation de l’eau ont été accordés pour le lac Mesachie; un permis pour la consommation d’eau à raison de 8 018 m3 · an-1; l’autre pour la construction et l’exploitation d’une barrière de dénombrement du poisson. Les permis de consommation d’eau équivalent à environ 1,4 cm de hauteur d’eau du lac, un volume qui ne devrait pas occasionner d’effets importants sur la lamproie de Vancouver.

En plus des utilisateurs détenteurs d’un permis, il existe probablement des utilisateurs d’eau qui ne possèdent pas de permis dans les bassins hydrographiques des lacs Cowichan et Mesachie. On ne connaît pas les menaces posées par les utilisateurs d’eau sans permis sur la lamproie de Vancouver, mais il semble peu probable qu’elles excèdent les menaces posées par les utilisateurs détenteurs de permis. De façon globale, les utilisations de l’eau avec permis et sans permis ne semblent pas poser une menace substantielle à l’heure actuelle.

La poursuite de l’aménagement du territoire dans la vallée de la Cowichan a exercé et continuera d’exercer des pressions sur l’écosystème. Le District régional de la vallée de la Cowichan dirige présentement l’élaboration d’un plan de gestion de l’eau qui tentera d’équilibrer les besoins des poissons et de la faune et les besoins des humains. L’efficacité du plan de gestion de l’eau pour assurer la conservation de la lamproie de Vancouver devra être évaluée dans le futur, peut-être par l’entremise d’une surveillance des populations de lamproies et des habitats. Les besoins de la lamproie de Vancouver doivent être pris en considération par les personnes qui prennent des décisions concernant l’utilisation de l’eau, et ce, présentement comme dans l’avenir. Si l’on veut s’assurer que les changements à long terme relatifs à l’utilisation de l’eau n’aient pas d’effets négatifs sur le recrutement des lamproies, il conviendrait en particulier d’évaluer les impacts potentiels des prélèvements et d’établir des limites quant aux fluctuations des niveaux de l’eau afin de protéger les œufs et les ammocètes.

Utilisation des terres -- Certaines activités terrestres peuvent altérer l’habitat aquatique directement (p. ex. impacts sur l’habitat riverain, modification des débits d’eaux de ruissellement) ou indirectement (p. ex. changements dans la qualité de l’eau par l’introduction de polluants). Parmi ces activités, mentionnons la foresterie, l’exploitation minière et l’aménagement du territoire à des fins résidentielles ou industrielles.

L’exploitation forestière est une industrie majeure dans le bassin hydrographique du lac Cowichan. La principale menace potentielle pesant sur l’habitat aquatique imputable aux pratiques forestières inclut le dépôt de sédiments et de fins débris ligneux, la destruction de l’habitat riverain et des changements dans l’hydrologie et la qualité de l’eau. Une littérature importante démontre les effets négatifs des sédiments en suspension sur la survie des poissons et des œufs. Une augmentation modérée dans les apports de sédiments fins associée à l’exploitation forestière peut être bénéfique pour les ammocètes se trouvant dans des milieux peu riches en sédiments du fait que les ammocètes croissent dans des habitats caractérisés par la présence de dépôts (sédiments fins), conditions qui sont souvent absentes dans les bassins hydrographiques côtiers à forte pente (Beamish, 1998). Toutefois, un apport excessif de sédiments peut avoir un impact négatif sur les zones de frai et, peut-être, sur d’autres habitats de la lamproie. Étant donné le long historique d’exploitation forestière dans le bassin hydrographique du lac Cowichan, jumelé à l’état apparemment stable de la lamproie de Vancouver, le risque d’extinction provoquée par cette menace potentielle ne devrait pas être important.

L’aménagement du territoire exerce des pressions dans la vallée de la Cowichan, et particulièrement autour du lac Cowichan. Ces pressions sont associées à une demande accrue pour l’eau, à l’altération des terrains situés près de la rive et des terres environnantes découlant de la construction de bâtiments, de routes et de quais ainsi qu’aux activités récréatives ayant lieu dans le lac et autour de celui-ci. L’impact sur les zones de frai littorales est particulièrement préoccupant. Or, pour évaluer cette menace, il faudra disposer de plus de renseignements sur la répartition et l’utilisation de l’habitat de frai par la lamproie de Vancouver.

Qualité de l’eau -- Aucun problème de qualité de l’eau n’a été recensé dans les lacs Cowichan et Mesachie. Les déversements de produits chimiques associés aux zones résidentielles ou industrielles peuvent cependant avoir un impact négatif sur la lamproie de Vancouver, quoique ce risque ne semble pas très élevé. La fermeture et le démantèlement récents de l’usine Youbou auraient entraîné une diminution des apports de polluants industriels. On a assisté à une augmentation constante de l’aménagement de propriétés à des fins récréatives et résidentielles dans la vallée de la Cowichan, mais la densité de ces aménagements est encore relativement faible. L’hiver, les fortes précipitations qui ont lieu dans le secteur pourraient entraîner un taux de renouvellement de l’eau relativement élevé dans les lacs Cowichan et Mesachie. Il faudra peut-être évaluer plus en profondeur cette menace à l’avenir lorsque l’on disposera d’information pertinente à ce sujet.

Usages récréatifs -- Le lac Cowichan constitue une destination populaire auprès des touristes et des résidents locaux. La pêche, la navigation, la nage et la randonnée pédestre sont des activités fréquentes dans le bassin hydrographique. Les principales menaces potentielles associées aux activités récréatives sont la concurrence pour les espèces-proies exercée par les pêcheurs, les effets négatifs sur la qualité de l’eau associés à la pollution imputable aux bateaux à moteur de même que la perturbation ou la destruction de zones littorales peu profondes. Étant donné le grand périmètre du lac Cowichan et la concentration relative des utilisations récréatives, ces menaces ne semblent pas être importantes. Toutefois, une évaluation appropriée de ces menaces ne pourra être menée qu’avec une meilleure connaissance de l’utilisation de l’habitat par la lamproie et de la répartition des habitats appropriés dans le lac. Par ailleurs, l’ampleur de ces menaces dans le lac Mesachie demeure inconnue.

Les pêcheurs à la ligne sportifs qui pêchent les salmonidés représentent une source directe de mortalité pour la lamproie de Vancouver. On sait que les pêcheurs à la ligne détruisent les lamproies qui parasitent les poissons capturés. La menace associée à cette source de mortalité n’est pas quantifiée et pourrait avoir un impact sur la population adulte

Proies -- La lamproie de Vancouver adulte est un parasite externe obligatoire des poissons résidents des lacs Cowichan et Mesachie. Il semble que les salmonidés, en particulier les jeunes cohos, soient les proies de prédilection de la lamproie (Beamish, 1982). L’impact de l’homme sur les salmonidés (p. ex. pêches sportive et commerciale, destruction de l’habitat) devrait, par conséquent, avoir une incidence sur l’abondance de la lamproie de Vancouver. Les ammocètes s’alimentent par filtration de détritus et de matière organique en suspension et vivent enfouis dans des trous pratiqués dans des sédiments mous. Les activités qui ont une incidence sur la productivité de cette source d’aliments devraient également avoir une incidence sur l’abondance de la lamproie de Vancouver. Aucune évaluation officielle des menaces pesant contre les proies de la lamproie de Vancouver n’a été effectuée.

Changement climatique -- Des preuves scientifiques démontrent clairement que le climat change et que la répartition des animaux et des végétaux réagit à ces changements (Parmesan et Yohe, 2003). Puisque le climat a une incidence sur les précipitations, le débit d’eau et la température de l’eau, et ce, de bien des manières, il peut également affecter l’abondance et la répartition de la lamproie de Vancouver. Cette menace soulève des inquiétudes; toutefois, elle présente un risque immédiat moindre pour la population de lamproie comparativement aux autres menaces et, à l’heure actuelle, cette question est considérée comme étant hors de la portée du présent programme de rétablissement. Cette menace pourra être évaluée et traitée dans des étapes futures de la planification du rétablissement de la lamproie de Vancouver.

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