Phoque commun (Phoca vitulina) évaluation et rapport de situation du COSEPAC : chapitre 7

Taille et tendances des populations

Il n’existe pas d’estimation à l’échelle de l’aire de répartition de l’abondance du P. v. concolor ni du P. v. mellonae au Canada. Une grande partie de l’aire de répartition des deux unités désignables (UD) n’a jamais fait l’objet de relevés. Les tendances de l’abondance à l’échelle de l’aire de répartition ne peuvent pas être calculées.

Phoca vitulina concolor

Boulva et McLaren (1979) ont estimé qu’il y avait 12 400 phoques communs dans les eaux du Canada atlantique en 1973 (à l’exclusion du Labrador), la plupart se trouvant à l’île de Sable et sur la côte atlantique de la Nouvelle-Écosse (5 250). Selon les estimations, la population aurait diminué à un taux de 4 p. 100 par année de 1950 à 1973, en raison des mortalités attribuables à la chasse contre primes (Boulva et McLaren, 1979; Malouf, 1986). Hammill et Stenson (2000) ont calculé que, si la population avait continué à diminuer à ce rythme jusqu’en 1976, année où le programme de chasse contre primes a pris fin, et avait par la suite augmenté de 5,6 p. 100 par année, la population aurait atteint 31 900 individus en 1996. Cependant, il est généralement reconnu qu’il n’y a aucune estimation fiable de l’abondance pour la population de phoques communs dans l’est du Canada (anonyme, 2003).

Le dénombrement d’individus au repos hors de l’eau sur l’île de Sable à l’été 2004 s’est établi à environ 150, une taille de population qui est demeurée relativement stable au cours des dernières années (Bowen, 2005). Cependant, la population avait précédemment subi un important déclin (Bowen et al., 2003).

Des phoques communs ont été dénombrés dans certaines parties de la côte du Nouveau-Brunswick dans la baie de Fundy à l’automne et au début de l’hiver en 1984, en 1987 et en 1998 (Jacobs et Terhune, 2000). Des relevés bimensuels effectués en avion et en bateau ont permis d’obtenir un nombre maximal similaire, soit tout juste supérieur à 1 000 phoques par année d’observation. En 1985-1987 et en 1991-1992, Stobo et Fowler (1994) ont réalisé des relevés de phoques communs en hélicoptère le long de certaines portions de la côte de la baie de Fundy, du côté du Nouveau-Brunswick et de la Nouvelle-Écosse. Au maximum, 3 534 phoques ont été observés en 1992. Il s’agit d’estimations minimales de la taille de la population totale, puisqu’une certaine partie de la population était en mer au moment du dénombrement des phoques sur la côte.

En règle générale, la portion néo-brunswickoise de la baie abrite un plus grand nombre de phoques communs (84 p. 100 du total) que la partie néo-écossaise. En outre, les hauts-fonds et les îles au large des côtes de Grand Manan abritaient de 53 à 60 p. 100 des phoques communs dénombrés au cours des cinq relevés. Contrairement à l’absence de tendance signalée par Jacobs et Terhune (2000), Stobo et Fowler (1994) ont indiqué que, au cours de la période de huit ans des relevés, l’abondance des phoques communs avait augmenté des deux côtés de la baie, la plus forte hausse ayant été observée du côté du Nouveau-Brunswick. Ils ont cependant fait une mis en garde contre l’incertitude des taux estimés de changements en raison des limites de la conception et de la réalisation des relevés.

Des relevés aériens ont été menés dans l’estuaire du Saint-Laurent en juin 1995, 1996 et 2000, et en août 1994, 1995, 1996 et 1997 (Robillard et al., 2005). Deux relevés par avion ont été réalisés en juin 1996 et 2001 dans des zones complémentaires du golfe du Saint-Laurent. Les relevés de l’estuaire étaient généralement menés pendant une période de quatre heures à marée basse, à quelques exceptions près. Ces relevés ne visaient pas les portions est et nord-est du golfe du Saint-Laurent, malgré des preuves historiques de la présence de phoques communs à ces endroits (Robillard et al., 2005). En tenant compte des phoques en mer, les estimations de l’abondance se sont établies à 811-1 008 phoques communs en août 1997 et à 721-858 individus en juin 2000 dans l’estuaire, à 635-757 phoques dans les régions du golfe recensées en juin 1996, et à 575-685 individus dans celles recensées en juin 2001. La combinaison des dénombrements des deux zones complémentaires du golfe, leur conversion en estimation de densité (0,23-0,28 phoques/km) et l’application de cette estimation à la partie non survolée du golfe ont permis d’établir un total de 3 108-3 744 phoques communs dans l’estuaire et le golfe du Saint-Laurent. L’addition de cette estimation à la moyenne des dénombrements dans l’estuaire a permis d’obtenir un indice d’abondance de 4 000-5 000 phoques communs (arrondi au millier près) dans l’estuaire et le golfe du Saint-Laurent. Les tendances de l’abondance des phoques communs de l’estuaire ont été analysées en fonction des estimations de juin et d’août, d’abord en considérant la zone d’étude dans son ensemble, puis les différents secteurs séparément, et quatre échoueries. À une exception près, aucun des taux d’accroissement n’était significativement différent de zéro, et aucune analyse de régression n’était associée à des variances homogènes. Une analyse de puissance a indiqué que ces résultats étaient prévisibles en raison de la petite taille de l’échantillon. Les taux de croissance variaient grandement selon les secteurs ou les sites et, dans certains cas, ils étaient supérieurs au taux maximal de 12-13 p. 100 estimé pour les populations de pinnipèdes non assujetties à l’immigration et subissant les contraintes types des phoques communs sur le cycle biologique reproducteur. Plusieurs taux de croissance étaient près de zéro ou englobait zéro ou des valeurs négatives dans l’intervalle de confiance à 95 p. 100 (Robillard et al., 2005).

À Terre-Neuve, Sjare et al. (2005) ont mené des relevés de reconnaissance en bateau dans sept zones considérées importantes pour le phoque commun entre mai et septembre, de 2002 à 2003. Des dénombrements opportunistes terrestres ont été réalisés d’un point d’observation élevé à divers emplacements, et des observations aériennes de la pointe septentrionale de la péninsule de Port-au-Port ont également été menées. Les données sur la répartition et l’abondance relative des phoques communs dans des secteurs n’ayant pas fait l’objet de relevés effectués en avion, en bateau ou sur terre ont été recueillies au moyen d’entrevues avec les résidants côtiers de longue date et de discussions avec des chasseurs d’expérience participant au programme de collecte biologique. De nombreuses zones le long de la côte de Terre-Neuve n’ont pas fait l’objet de relevés, et la proportion de la population enregistrée dans le cadre de chacun des relevés est inconnue. Les perturbations causées par la chasse ont probablement influé sur les résultats obtenus à St. Pauls Inlet, à Point May et à Southwest Arm. En 2002 et en 2003, trois relevés effectués en petits bateaux entre Renews et le parc provincial Chance Cove ont permis de dénombrer un maximum de 164 phoques communs. Un total maximal de 296 individus a été dérivé de relevés d’une portion des baies Placentia et St. Mary’s. Le dénombrement maximal à Point May s’est établi à 46, et à 24 à l’île Pass. Une analyse aérienne au nord de la péninsule de Port-au-Port a produit un dénombrement minimal de 40 individus en 2003-2004, et cinq relevés terrestres dans la région de St. Pauls Inlet ont donné un dénombrement maximal de 88 phoques. Comparativement aux données de Boulva et McLaren (1979), ces données récentes indiquent que l’abondance à certaines échoueries bien connues plus au sud de la province s’est peut-être accrue, alors que l’abondance à des échoueries plus au nord et sur la côte nord-est demeurait toujours faible par rapport au début des années 1980. Toutefois, Sjare et al. (2005) font une mise en garde : il est nécessaire de mieux comprendre les habitudes de déplacement saisonnières et annuelles avant de tirer des conclusions sur les tendances de l’abondance locales ou pour un site précis.

Tableau 1. Résumé de la taille et des tendances des populations de phoques communs (Phoca vitulina concolor) au Canada
Lieu Estimation de la population Tendance Source
Baie d’Hudson
>100
À la hausse
Bernhardt (2005); Derocher et al. (2004)
Arctique
?
?
 
Estuaire et golfe du Saint-Laurent
~ 4 000-5 000
?
Robillard et al. (2005)
Baie de Fundy, côte Sud-Ouest de la Nouvelle-Écosse
3 534
À la hausse Noteadeatableaua
Stobo et Fowler (1994)
Île de Sable
~ 150
Stable
Bowen (2005)
Terre-Neuve
~ 1 000
?
Sjare et al.(2005)
Total
~ 9 784
?
 

Il existe peu de données quantitatives sur le phoque commun au Labrador, à l’exception de quelques renseignements anecdotiques sur un groupe de quelque 100 individus dans la rivière Paradise, près de Cartwright, et de l’observation de près de 40-50 phoques dans la région de l’île Sandy, près de Natuashish (Sjare et al., 2005).

Le long de la rive ouest de la baie d’Hudson, les seuls regroupements de phoques ayant été dénombrés sont les 39 individus observés sur une échouerie de la rivière Churchill en 2003 et les 50-60 individus observés le long de la rivière au Phoque en 2002 (Bernhardt, 2005).

À partir des études susmentionnées, la population totale de phoques communs dans l’est du Canada s’établit à au moins 10 000 individus (tableau 1). Il faut souligner que cette estimation est imprécise et probablement biaisée, car elle ne comprend que des portions de l’aire de répartition de l’espèce dans l’est du Canada. De plus, les estimations présentées au tableau 1 ont été obtenues à l’aide de diverses méthodes et se fondent sur des relevés d’exhaustivité variable. En plus de leur nature fragmentaire, les données existantes (de même que toute tendance de l’abondance) sont difficiles à interpréter en raison de l’incertitude liée au caractère discret des colonies de phoque commun au Canada atlantique et dans le nord-est des États-Unis (Robillard et al., 2005).

L’estimation d’abondance corrigée de 2001 des phoques communs du nord-est des États-Unis s’établissait à 99 340 individus (Gilbert et al., 2005). De 1981 à 2001, les dénombrements bruts de phoques affichaient une hausse annuelle de 6,6 p. 100. Quelque 1 200 individus ont été dénombrés en 2001 dans le cadre d’un relevé aérien effectué de la baie Eastern (Maine) à la frontière du Nouveau-Brunswick. Ce nombre ne semble pas augmenter, contrairement aux phoques communs présents dans d’autres régions du nord-est américain, ce qui a mené Gilbert et al. (2005) à formuler des hypothèses sur la sous-structure géographique de la population.

Le nombre de phoques à Saint-Pierre-et-Miquelon (une dépendance française) au large de la côte sud de Terre-Neuve, semble avoir augmenté de 1970 à 1982 (Ling et al., 1974; Davis et Renouf, 1987). Depuis, le rassemblement estival de reproduction à Grand Barachois (Miquelon, 16 km au large de la côte sud de Terre-Neuve) est passé de 908 individus en 1982 à 200 individus en juin 2006 (Lawson, 2006). Au Groenland, les phoques communs ont connu un déclin important au cours des dernières décennies, probablement en raison de la chasse excessive(Teilmann et Dietz, 1994).

 Phoca vitulina mellonae

Les estimations de la taille de la population de la sous-espèce sont imprécises, mais il s’agit sans aucun doute d’une petite population.

Au cours des trois étés d’intense travail sur le terrain aux lacs des Loups Marins, qui constitue, selon toutes les preuves recueillies, le centre de l’aire de répartition du P. v. mellonae, Smith (1999) a observé seulement 39 individus, seuls dans presque tous les cas. Doutt (1957), cité dans Scheffer (1958), avait « supposé » un maximum de 500 individus. Power et Gregoire (1978) ont estimé un total de 200 et de 600 individus par deux sommations distinctes. Les plus récentes estimations du Consortium Gilles Shooner & Associés et al. (1991) s’établissaient à environ 100 individus, ou 0,1 phoque/km², aux lacs des Loups Marins et au lac Bourdel. Ces deux lacs, et, possiblement, le Petit lac des Loups Marins, semblent constituer le centre (et peut-être la somme totale) de l’aire de répartition actuelle. Des preuves indiquent que l’aire était plus vaste dans le passé.

Il est manifestement impossible de calculer les tendances des populations au fil du temps, même s’il existe des preuves voulant que la population avait une aire de répartition plus grande et qu’elle était plus abondante dans le passé. Au cours de sa traversée de la péninsule d’Ungava en 1896 pour la Commission géologique du Canada, A. P. Low a observé des phoques dans les lacs des Loups Marins et a signalé que les Autochtones en tuaient plus de 30 par année, ce qui illustrait que l’espèce se reproduisait librement en eau douce (Low, 1898, p. 13). Le 22 juillet 1818, George Atkinson a atteint les environs du Petit lac des Loups Marins et a écrit dans son journal : « Dans ces rides, les Indiens installent des filets pour les phoques en hiver; il s’agit d’une espèce assez différente de celles du littoral marin. Ils sont couverts de courts poils soyeux; hier et aujourd’hui, nous en vîmes plusieurs dans les lacs et les rivières » [traduction] (Atkinson, 1818). La facilité d’observation et les estimations des résultats de la chasse donnent à penser que la population était peut-être plus abondante qu’aujourd’hui.

Smith et Horonowitsch (1987) ont cité un manuscrit inédit de la Station de biologie arctique qui indique que, « selon les connaissances locales à la baie d’Ungava, l’occurrence des phoques communs dans les lacs continentaux, appelés collectivement Kasigiaksiovik (lieu des phoques communs) par les Inuits, était étendue. L’avènement de la chasse au fusil et le grand intérêt envers les peaux de phoque commun à des fins décoratives ont probablement entraîné une rapide diminution du nombre de phoques communs dans les rivières et les lacs à proximité des territoires de chasse inuits. » [traduction] (Smith et Horonowitsch, 1987, p. 8). Mansfield (1967) est également d’avis que la chasse a limité la répartition actuelle du phoque commun dans les lacs du bassin hydrographique des baies d’Hudson et d’Ungava.

L’apparente saisonnalité de la reproduction du P. v. mellonae (Smith et al., 1994) et l’isolement géographique de la population signifient que l’immigration de source externe de populations voisines de phoques communs océaniques est improbable. La recolonisation est freinée en outre par la distance de la côte et la petite taille actuelle des populations océaniques de la baie d’Hudson et de la baie d’Ungava.

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