Caribou des bois (Rangifer tarandus caribou) évaluation et rapport de situation du COSEPAC : chapitre 6

Mise à jour
Rapport de situation du COSEPAC
sur le
caribou des bois
Rangifer tarandus caribou

Population de la Gaspésie-Atlantique
Population boréale
Population des montagnes du Sud
Population des montagnes du Nord
Population de Terre-Neuve

au Canada

Donal C. Thomas1
David R. Gray2

2002

Information sur l'espèce

Nom et classification

Les caribous des bois du Canada sont classifiés comme Rangifer tarandus (Lin.), sous-espèce caribou (Gmelin, 1788; Banfield, 1961, 1974). Les définitions sont absolument essentielles quand on discute de notions comme espèce, sous-espèce, métapopulation, population, sous-population, population locale, troupeau, dème, cline et intergrade. Le flou des définitions dans la littérature a entraîné une grave confusion. Non seulement les définitions sont arbitraires et variables d’un auteur à l’autre, mais leur interprétation est encore moins rigoureuse. Quant à la définition d’une espèce en péril, elle inclut « une espèce, une sous-espèce…ou une population biologiquement distincte ». (COSEPAC, 2000a, 2000c).

Tous les caribous et rennes du monde entier ne constituent qu’une seule espèce, et sont présumés interfécondables, les produits de croisement étant viables et fertiles. Certains définissent l’espèce comme composée de groupes effectivement ou potentiellement interfécondables, qui sont incapables de se reproduire avec d’autres groupes semblables (Mayr, 1942). Pour ce qui est de la sous-espèce, elle est définie entre autres comme un regroupement, défini géographiquement, de populations locales, qui sont taxinomiquement différentes d’autres subdivisions de l’espèce (Mayr, 1969). Le degré de différence nécessaire pour définir la sous-espèce s’est révélé un problème délicat pour les taxinomistes. Avice et Ball (1990) ont avancé que les indications d’une sous-espèce devaient provenir d’une distribution cohérente de traits génétiques multiples et indépendants. O’Brien et Mayr (1991) ont quant à eux avancé qu’une sous-espèce se caractérisait par une répartition géographique ou un habitat uniques, un groupe de phénotypes phylogénétiquement concordants, et une évolution naturelle unique. Des cas d’interfécondation entre répartitions chevauchantes (sympatriques) ou d’introgression de membres d’une sous-espèce dans une autre ne remettent pas en question la définition de la sous-espèce (O’Brien et Mayr, 1991).

L’expression population biologiquement distincte est elle aussi arbitraire, mais assure une certaine souplesse. Pour nombre de populations, nous ne disposons pas d’assez d’informations sur leur statut génétique pour déterminer si elles sont génétiquement distinctes, quelle que soit la définition de cette distinction. Par ailleurs, n’importe quelle petite population locale qui est isolée depuis plus de 100 ans sera probablement génétiquement distincte, sur la base de l’analyse de l’ADN microsatellite (C. Strobeck, comm. pers., 2000). Il n’existe pas de critères généralement acceptés quant au seuil de différence génétique à partir duquel deux populations sont distinctes, et il est impossible à l’heure actuelle de traduire les différences génétiques en différences fonctionnelles. La composante biologique de l’expression population biologiquement distincte nous autorise donc à recourir aux similitudes et différences écologiques, aux phénotypes et au comportement pour regrouper ou séparer les populations de caribous. Les phénotypes et le comportement ont des causes génétiques et environnementales, qui sont difficiles à répartir. Il faudra donc disposer de plus d’informations génétiques et comportementales avant de pouvoir s’entendre sur les unités de conservation des caribous qui exigent une protection spéciale.

Qu’est-ce qu’une population? Au sens large, il s’agit de tous les individus d’une espèce présents dans une région géographique donnée. Les régions en question devraient être des zones géographiques écologiquement cohérentes, ou des écozones/écorégions, sans égard aux frontières politiques. Avec le temps, une espèce peut donner naissance à divers écotypes dans des environnements différents, comme des écozones, des écorégions ou des écodistricts. Banfield (1961) utilisait le terme de « population géographique », terminologie conservée par Kelsall (1984). Cependant, Banfield (1961) faisait aussi référence à des populations statistiques pour regrouper les mesures d’éléments du squelette. À des fins de clarté, le terme « population » devrait toujours être qualifié : « biologique », « géographique », « écologique », « locale », « COSEPAC », « statistique », ou « sous-population », etc.

Le terme « population » est utilisé diversement pour désigner un écotype, un phénotype, et les caribous d’une région géographique, d’une unité de gestion ou d’un territoire donnés. Dans le présent rapport, nous utilisons la définition de « population » recommandée dans les lignes directrices de 1994 du COSEPAC : Une population est un groupe d’individus d’une espèce biologique unique occupant un territoire défini. La définition de 2000 (COSEPAC, 2000c) est la suivante : « un groupe d'individus géographiquement ou autrement distinct (une portion de la population totale) qui a peu d'échanges démographiques ou génétiques avec de tels autres groupes ». On peut comparer cette définition à celle adoptée par l’Union mondiale pour la nature (UICN) pour une population régionale à l’échelle planétaire : « la proportion de la population mondiale qui se trouve dans la région étudiée » (UICN, 1994) et sa définition des sous-populations : « groupes distincts, au plan géographique par exemple, au sein de la population (mondiale), entre lesquels les échanges […] sont limités. » Ainsi, à l’échelle planétaire, les populations COSEPAC pourraient être considérées comme des sous-populations de Rangifer tarandus, plutôt que comme des populations. Il s’agit donc d’une approche descendante. Dans le cas d’une approche ascendante, c’est la population définie selon des critères géographiques qui constitue l’unité de base à des fins de conservation.

Le dème se situe à un niveau inférieur à l’espèce et peut remplacer la sous-espèce dans les cas où l’espèce ne peut pas être subdivisée. Un dème est un groupe d’individus plus semblables génétiquement entre eux qu’à d’autres individus, vivant généralement dans une certaine isolation spatiale (Wells et Richmond, 1995). La métapopulation est peut-être l’autre regroupement qui fait appel à une définition large, c.-à-d. une population de populations susceptibles d’immigration/émigration. Advenant la disparition d’une population locale, la recolonisation naturelle est possible. Ce regroupement devrait être basé sur la géographie, l’écologie et le comportement des caribous. Les regroupements de métapopulations devraient concorder avec les populations reconnues par le COSEPAC. La répartition du caribou des bois au Canada se compose de métapopulations, ainsi que de quelques populations locales isolées. On ne connaît pas suffisamment les mouvements entre la plupart des groupes géographiques de caribous pour pouvoir avec confiance les classifier et cartographier en sous-populations, populations et métapopulations. De plus, les groupes sont, de nature, dynamiques. La plupart des caribous porteurs d’un collier radio sont des femelles adultes, censées être fidèles à la région où elles sont nées et ont vécu pendant au moins deux ou trois ans avant qu’on leur fasse porter ces colliers. Les jeunes mâles sont plus susceptibles d’émigrer vers une autre population locale. Le terme d’échange ne devrait être utilisé que rarement, puisqu’il a une connotation de réciprocité, alors que la plupart des mouvements sont des immigrations ou des émigrations.

La population locale (population géographique) est l’unité de base aux fins de la conservation. Certains auteurs utilisent le terme sous-population pour désigner un élément d’une population locale dont les individus restent séparés des autres pendant une période se mesurant en mois ou en années. Les populations sont identifiées selon des critères géographiques, alors que les limites de leurs territoires peuvent changer avec le temps, et pour des raisons très diverses. En fait, les chercheurs savent rarement s’ils sont en train d’étudier une sous-population, une population locale ou une métapopulation. L’attribution de ces désignations exige une surveillance à long terme de caribous mâles et femelles marqués de tous âges. De même que les limites territoriales, les désignations des groupes peuvent changer avec les fluctuations de la taille de la population, la végétation (p. ex. perturbation par le feu ou autre, et surutilisation du territoire), les conditions météorologiques et les activités humaines (chasse et exploitation du territoire).

Par troupeau, on entend un groupe de caribous qui occupe un territoire ou une région géographiques donnés et semble séparé d’autres groupes semblables (Banfield, 1954). On lui connaît un territoire d’habitation (Skoog, 1968) et une aire de mise bas traditionnelle (Thomas, 1969); le chevauchement des aires de répartition en hiver a été observé et accepté. On ne connaissait généralement pas son degré de mélange avec d’autres troupeaux, mais un faible taux d’émigration ou d’immigration ne contrevenait pas à la définition du troupeau. Le point essentiel en ce qui concerne le mélange génétique est l’endroit où se tiennent les populations de caribous, les sous-populations et les individus pendant la saison de reproduction en octobre. Ce qui était autrefois cartographié comme zone d’occurrence générale des caribous dans la forêt boréale (figure 4) est maintenant redéfini pour englober des troupeaux isolés ou semi-isolés (populations locales), ce qui correspond dans la plupart des cas à des zones d’occupation (figure 5).


Figure 4 : Limite actuelle (traits continus) et limite sud historique (trait tireté) de la zone d’occurrence du caribou des bois forestier en Amérique du Nord en 2001

Figure 4 : Limite actuelle (traits continus) et limite sud historique (trait tireté) de la zone d’occurrence du caribou des bois forestier en Amérique du Nord en 2001.

Données historiques tirées de Kelsall (1984) et Hatter (comm. pers., 2000).


Figure 5 : Zone d’occupation (aires de répartition actuelles) des populations de caribou des bois forestier en Amérique du Nord en 2000

Figure 5 : Zone d’occupation (aires de répartition actuelles) des populations de caribou des bois forestier en Amérique du Nord en 2000.

Données tirées de cartes fournies par les autorités provinciales et territoriales en 2000 et 2001.

Dans le présent rapport, nous parlons de populations locales et de sous-populations plutôt que de troupeaux et sous-troupeaux, pour nous conformer à la terminologie de l’UICN et du COSEPAC, ainsi qu’à la littérature sur d’autres espèces. Des populations plus ou moins distinctes au sein de populations au sens du COSEPAC sont des sous-populations à une échelle nationale. Le terme troupeau est synonyme de population locale ou de sous-population et comporte un élément saisonnier tel que la répartition hivernale. Certaines populations locales sont migratrices, d’autres présentent des décalages saisonniers de l’aire de répartition, et certaines se déplacent peu. On ne dispose donc pas d’un terme unique pour les décrire toutes correctement. Bien que dits caribous forestiers, ces animaux peuvent fréquenter la toundra alpine et les tourbières ouvertes en été et même en hiver.

L’attribution de noms en fonction de l’emplacement de l’aire de mise bas est moins courante pour les populations de caribou des bois forestier que pour l’écotype forêt/toundra. Souvent, les noms des populations font référence aux aires d’hivernage traditionnelles (Farnell et al., 1996; Kuzyk et al., 1999). Trois populations « de montagne » de l’Alberta ont des territoires d’été qui se chevauchent, mais des aires de reproduction distinctes, et sont nommées en fonction de leurs aires d’hivernage actuelles (Edmonds, 1988; Brown et Hobson, 1998). Cependant, la présence d’un habitat de mise bas et d’estivage convenable est l’élément le plus critique du territoire fréquenté par la plupart des populations locales.

            La notion d’écotype est maintenant acceptée. On l’a utilisée pour établir une distinction entre trois types de comportements du caribou en Colombie-Britannique (du Nord, des montagnes et boréal), entre deux en Alberta (des montagnes et boréal), entre deux en Ontario (forestier et toundrique), et entre deux au Québec (sédentaire et migrateur) (Bergerud, 1978; Edmonds, 1991; Heard et Vagt, 1998; Harris, 1999; Caribou Québec, 2000). Les écotypes sont des catégories de populations adaptées à des paysages ou environnements différents, définies surtout par leurs déplacements et leur comportement alimentaire (annexe 3). Thomas (1995) a étendu la classification en écotypes pour y faire intervenir les habitats d’été et d’hiver, le comportement migrateur, l’alimentation d’hiver et le climat. Les deux métapopulations du Nord dans la population des montagnes du Sud en Colombie-Britannique (Hatter, 2000) et les populations des montagnes Rocheuses et des contreforts en Alberta constituent l’écotype nordique (Bergerud, 1978; Edmonds, 1988; Heard et Vagt, 1998), mais ne concordent pas avec les limites fixées par le COSEPAC. Cependant, les critères des écotypes ne sont pas absolus, puisque les lichens terrestres sont complétés par des lichens arboricoles chez la plupart des populations locales. Bergerud (2000) a fait la distinction entre les écotypes sédentaire/migrateur et montagnard/boréal. Les rennes de Russie ont été classés en montagnards forestiers, sédentaires forestiers, migrateurs forestiers, migrateurs toundriques (Baskin, 1990) et toundriques.


Taxinomie et systématique du caribou

La systématique (relations évolutionnaires et génétiques) et la taxinomie (classification) (Cronin, 1993, 1997) du caribou sont entachées d’incertitude au-dessous du niveau de l’espèce. En 1961, Banfield a révisé la taxinomie globale de Rangifer et a conclu que toutes les formes seraient capables de se croiser et ne constituaient donc qu’une espèce, tarandus. Le critère principal qu’il utilisait pour distinguer les sous-espèces étaient les caractéristiques des bois et des mesures craniométriques chez des individus des deux sexes à pleine maturité. Banfield (1961) a remarqué des clines nord-sud dans la taille et dans la coloration du pelage. Il a regroupé tous les caribous des bois existants d’Amérique du Nord en une seule sous-espèce, caribou; il y avait des différences non significatives chez des « populations statistiques » qu’il a appelées dèmes et « sous-espèces naissantes » : il s’agissait de terraenovae à Terre-Neuve, caboti dans le Nord du Québec et du Labrador, sylvestris dans les forêts boréales depuis le Québec jusqu’aux montagnes du Sud en Colombie-Britannique, et osborni dans les montagnes du Nord de la Colombie-Britannique, du Sud du Yukon, et des Territoires du Nord-Ouest. Celles-ci avaient d’ailleurs été considérées comme des sous-espèces à la suite de travaux antérieurs (Kelsall, 1984). Banfield (1961) considérait les anciennes sous-espèces osborni et caboti et le caribou des basses terres de la baie d’Hudson comme des dèmes qui se situaient entre le caribou des bois et le caribou de la toundra, mais les plaçait avec caribou. Il suivit Jacobi (1931) en séparant le caribou de la toundra du caribou des bois à la lumière de nombreux critères semi-objectifs et les nomma en fonction de la forme de la section des bois, c.-à-d. cylindricornus et compressicornus, respectivement. La valeur taxinomique des bois a reçu peu d’attention malgré son potentiel, exprimé par Bubenik (1975) et exploré par Butler (1986).

Pour Geist (1991), la géographie et la craniométrie ne sont pas des critères taxinomiques, et la taille elle-même n’en est pas un bon. Il propose d’utiliser des caractères de coloration du poil, de configuration des glandes et de bois, c.-à-d. les « marques sociales » au moment de la reproduction, pour identifier les sous-espèces, et d’englober sous le « caribou des bois » (R. t. caribou) les populations vivant dans les montagnes du Centre et du Sud de la Colombie-Britannique et de l’Alberta, et dans la forêt boréale à l’est des montagnes. Il inclut ainsi les caribous des régions de neige épaisse du Sud de la Colombie-Britannique, où les lichens arboricoles sont l’élément principal de l’alimentation. À son avis, les caribous du Nord de la Colombie-Britannique (au nord de la rivière de la Paix) et du Yukon présentent des différences morphologiques suffisantes pour qu’on les considère comme une sous-espèce à part (R. t. osborni). Le caribou de Terre-Neuve (R. t. terraenovae) présente des différences écologiques du fait de son isolement dans un environnement différent, où il est exposé à la prédation par le lynx (Lynx canadensis) après la disparition des loups (Canis lupus) du Canada, au début du XXe siècle. Il estimait que les caribous migrateurs (R. t. caboti) du Labrador constituaient un dème intermédiaire (connu par la suite sous le nom de population de la rivière George). Enfin, il convient avec Cowan et Guiguet (1965) que le caribou de Dawson (R. t. dawsoni), disparu, est une espèce distincte.

La géographie et la végétation sont des éléments importants, parce qu’elles peuvent isoler des populations, qui sont alors exposées à une dérive génétique et à la consanguinisation, comme cela a été montré pour le mouflon d’Amérique (Ovis canadensis) (Fitzsimmons et al., 1997). Dans les faits, on entend par géographie et végétation la présence de poches d’habitat adéquat. La sélection naturelle et sexuelle du caribou dans des environnements différents peut aussi entraîner des différences génétiques. On peut certes recourir à des limites géographiques ou politiques plutôt qu’à des catégorisations par sous-espèces à des fins de réglementation. Par exemple, il est préférable de stipuler que le caribou ne peut pas être abattu dans telle ou telle région géographique, plutôt que de dire que telle ou telle sous-espèce ou population est protégée. Dans le cas des parties et de la viande des animaux, les meilleurs outils légaux sont les différences chimiques, dont l’empreinte génétique. La gestion des terres repose sur des limites géographiques et politiques; c’est pourquoi les populations géographiques sont les entités les plus pratiques pour les mesures de conservation et de gestion du caribou.


Études des lignées génétiques chez le caribou

D’après les allèles de la transferrine (une protéine du sang) présents à un locus unique, une seule sous-espèce, R. t. caribou, occupait les régions continentales de l’Est du Canada et Terre-Neuve (Røed, 1992). Une analyse génétique préliminaire de quelques échantillons donne à penser que le caribou de Gaspésie soit a été isolé pendant une longue période, soit avait une filiation différente (Røed et al., 1991; Crête et al., 1994). Cependant, un locus unique à forte variabilité et sujet à des changements rapides ne constitue pas un indicateur phylogénétique fiable (Røed et al., 1991).

Une autre étude a mis en évidence des variations significatives des fréquences des allèles de la transferrine chez neuf populations distribuées sur l’aire de répartition du caribou des bois (van Staaden et al., 1995). Il y avait relativement peu d’hétérogénéité génétique au sein de ces populations; la géographie et la distance génétique étaient significativement corrélées. Les petites populations isolées avaient tendance à présenter quatre allèles de la transferrine ou moins.

Cronin (1992) a évalué les variations de l’ADN mitochondrial (ADNmt) de caribous des bois de l’Alberta, du Nord du Labrador (rivière George) et de Terre-Neuve. Il a observé des variations considérables, même si la divergence de séquence des génotypes était basse. Il en a conclu qu’il existait des génotypes caractéristiques chez les caribous de régions géographiques différentes (Cronin, 1992). Il en a aussi conclu que la classification au niveau subspécifique du caribou et d’autres cervidés devrait prendre en compte les données génétiques mitochondriales et nucléaires, la morphologie, la répartition et l’histoire naturelle.

Une autre étude de l’ADNmt a montré que tous les caribous du Canada provenaient de clades (groupes) du Nord et du Sud, isolés il y a environ 49 000 ans, pendant la glaciation Wisconsinienne (Dueck, 1998). Les Rocheuses canadiennes ont connu des avancées glaciaires il y a 75 000 à 64 000 ans et 20 000 à 11 000 ans (Gadd, 1986). Deux groupes de caribous ont été séparés entre ces deux épisodes du début et de la fin du Wisconsinien, et des clades distincts ont évolué isolément. Après la fonte du grand glacier continental, les deux groupes ont colonisé le Canada, et leurs aires de répartition se sont chevauchées.

Les résultats de l’analyse de l’ADNmt (Dueck, 1998) permettent de formuler le scénario suivant : le clade isolé du sud a monté vers le Nord, à mesure que le glacier continental (Laurentidien) rétrécissait, pour occuper toute la forêt boréale et la taïga de l’Est du Canada. Dans l’Ouest, il aurait avancé vers le Nord jusqu’au delta du Mackenzie en empruntant un corridor interglaciaire à l’est des montagnes de la Cordillère. Les caribous du clade du nord ont été isolés dans le refuge de la Béringie en Alaska, dans une partie du Yukon, et sur les îles Banks et du Prince-Patrick. Ils se sont avancés vers le Sud dans le corridor sans glace et, plus tard, dans les montagnes après la fonte de l’inlandsis de la Cordillère, jusqu’à l’actuelle frontière avec les États-Unis et au-delà. Dans le Nord, ils se sont étendus vers l’est pour occuper toute la toundra et la taïga, et vers le Nord jusque dans les îles de l’Arctique canadien.

Nombre des populations locales situées le long des zones de contact et de chevauchement présentent des haplotypes des deux clades (figure 2). Par exemple, l’échantillon de la population de la rivière George contenait 22 p. 100 de l’haplotype nordique (tout l’ADNmt est maternel, et donc haploïde). Le plus important mélange d’haplotypes se retrouve dans les montagnes de Colombie-Britannique et dans les régions adjacentes d’Alberta, où 75 p. 100 des haplotypes des échantillons analysés proviennent du clade du nord. Les actuels caribous des bois ont apparemment évolué à partir des deux clades, et il y a eu introgression d’ADN dans les régions où les deux clades se sont rencontrés et où leurs deux aires de répartition se sont chevauchées. Ces résultats confortent la distinction faite par le COSEPAC entre les populations des montagnes et la population boréale. Les caribous des montagnes de la Cordillère devront peut-être même être reclassifiés.

Certains taxinomistes estiment qu’une sous-espèce doit être monophylétique. L’haplotype du sud est à 95 p. 100 monophylétique, mais celui du nord est monophylétique ou paraphylétique, selon l’analyse statistique utilisée pour le classifier (Dueck, 1998; Dueck et Strobeck, comm. pers.). L’hypothèse monophylétique est plus probable que l’autre.

Le clade du sud était l’origine première de la sous-espèce caribou vivant dans les forêts boréales et de taïga à l’est des montagnes de la Cordillère. Une possibilité est qu’il ait évolué dans l’Est de l’Amérique du Nord, dans une région centrée sur les Appalaches. Les caribous issus du clade du nord ont voyagé vers le Sud dans le corridor libre de glace, puis gagné les montagnes de la Cordillère. L’introgression de l’haplotype du sud dans les caribous des montagnes Rocheuses a pu se produire longtemps après la fonte des inlandsis. Les conclusions préliminaires d’une autre étude de l’ADNmt appuient l’hypothèse que le caribou des bois de l’est ait été historiquement isolé du caribou de l’Arctique et que les sous-espèces actuelles ne concordent pas avec la variation génétique observée (Eger et Gunn, 1999; J. Eger, comm. pers., 2001).

Kushny et al., (1996) a eu recours à l’ADN microsatellite (ADNms) pour étudier la variation génétique dans des populations de caribou de tout le Canada. Quatre loci polymorphiques ont révélé des degrés élevés d’hétérozygotie (>0,74) dans toutes les populations étudiées (Kushny et al.,1996). On en a conclu que l’analyse de l’ADNms nucléaire offrait un potentiel très intéressant pour identifier l’appartenance d’individus à des populations données. Par la suite, trois populations locales de caribou des bois du Yukon se sont révélées génétiquement différentes sur la base de l’ADNms (Zittlau et al., 2000), de même que trois sous-populations de la population de Bluenose de caribous de la toundra (Nagy et al., 1999) et d’autres (Zittlau et al., 2001).

Les caribous du Nord de la Colombie-Britannique et du Yukon pourraient soit être inclus dans granti ou groenlandicus, soit recevoir de nouveau le statut de sous-espèce, comme le suggéra Geist (1991). Leur pelage est semblable à celui du caribou de la toundra (R. t. granti) dans la population de la Porcupine, et ils avaient autrefois le rang de sous-espèce, sous le nom d’osborni (Cowan et Guiguet, 1965). Les caribous de la population des montagnes du Sud, où dominent les haplotypes du nord, pourraient aussi être inclus dans granti, sur la base des liens phylogénétiques. Collectivement, les « caribous des montagnes » de Colombie-Britannique et d’Alberta sont plus apparentés aux caribous de la toundra d’Alaska qu’aux caribous des bois, selon les conclusions de K.H. Røed (comm. pers., 1998).

Les caribous ont une très grande variabilité génétique (polymorphes et hétérozygotes), et ont apparemment développé des comportements et des phénotypes convergents dans les deux clades. Un échantillon de la population de la rivière George présentait 78 p. 100 d’haplotypes du sud, mais son aspect et son comportement migratoire et social (hivernage dans la taïga, migration vers la toundra pour la mise bas et formation de groupes importants après la mise bas) sont semblables à ceux des populations de caribous de la toundra de Qamanirjuaq, Beverly, Bathurst et Bluenose. Collectivement, ces dernières populations ont 6 p. 100 d’haplotypes du sud (Dueck, 1998). Le comportement migratoire des populations de la rivière George et de la rivière Leaf constitue plus probablement une adaptation comportementale des caribous des bois résidents qu’un comportement appris d’immigrants du nord. Tous les écotypes toundriques échantillonnés jusqu’ici ont des mélanges d’haplotypes. On s’attend à trouver des populations mixtes là où se rencontrent les haplotypes, et les différences phénotypiques peuvent ou non être évidentes. Cronin et al., (1991) ont avancé qu’une population mixte de cerfs-mulets et de cerfs à queue noire (Odocoileus hemionus ssp.) ne devrait être incluse ni dans l’une ni dans l’autre des deux sous-espèces. Donc, que faire des populations mixtes de caribous? Une solution pragmatique est de les placer dans le taxon « des bois » si les haplotypes du sud sont majoritaires.

Sauf exceptions, on peut placer les populations locales de caribous dans deux grands groupes écologiques (écotypes) selon l’endroit où elles passent la plus grande partie de l’été – régions alpines/toundra et forêt. Ces regroupements sont représentatifs de la plupart des populations locales actuelles issues respectivement des clades du nord et du sud (Dueck, 1998). Cette division se tient sur le plan écologique, puisque la toundra et les régions alpines constituent des habitats similaires. Certaines des populations alpines/toundriques passent une partie de l’hiver dans la taïga ou la forêt subalpine. La partie haute des régions subalpines est analogue à la taïga. La plupart des caribous montagnards/toundriques sont migrateurs, mais les distances parcourues varient considérablement. En montagne, un caribou peut, en seulement 5 kilomètres, passer d’aires d’estivage montagnardes à subalpines (inférieure puis supérieure) et enfin alpines. Un caribou toundrique qui a hiverné dans la forêt boréale peut devoir franchir 400 km dans la taïga et autant dans la toundra pour arriver à une aire de mise bas et une aire d’estivage convenables.

Les regroupements ci-dessus ne concernent cependant pas les populations de caribou des bois forestier. En raison d’exceptions à des règles générales, aucun système de classification comportemental faisant intervenir le type de couvert végétal, les migrations/déplacements ou l’alimentation d’hiver, ne permet de catégoriser clairement les populations de caribous. Les populations des rivières George et Leaf au Québec/Labrador et celles des plaines hudsoniennes, de l’île Pen et du cap Churchill correspondent mieux à l’écotype toundrique (taïga) pour ce qui est de leur utilisation des écorégions (annexe 3). Sur les plaines à l’est des montagnes de la Cordillère, toutes les populations forestières ont tendance à passer une partie de l’été dans des tourbières minérotrophes ou ombrotrophes, sur des rives basses, sur les îles de lacs et dans des tourbières. Ces habitats ressemblent en effet à la toundra à certains égards, puisqu’ils sont riches en fourrage succulent et sont plus frais, et mettent quelque peu les animaux à l’abri des prédateurs et des insectes.

Les caribous exploitent la taïga et la toundra, là où il en existe dans la forêt boréale. Le caribou forestier a tendance à montrer les plus fortes densités dans les régions présentant des gradients d’altitude. En Alberta, sept populations locales de caribou boréal sont associées à la région naturelle des hautes terres du Nord de l’Alberta (Province de l’Alberta, 1993). La végétation du sommet des collines Cameron, des monts Caribou et des monts Birch, de type taïga, est qualifiée de boréale subarctique dans la classification des écorégions. En Saskatchewan, une petite zone de hautes terres, les collines Wappaweka, est fréquentée par quelques groupes de caribous ayant aussi accès à une vaste tourbière au sud. Le territoire d’autres populations, comme celles des monts Red Wine (Brown et al., 1986) et de la Gaspésie (Ouelett et al., 1996), inclut des régions de toundra alpine, subalpines ou de taïga. Pour certaines populations, l’existence d’une aire d’estivage adéquate sur le territoire fréquenté semble plus importante que celle d’une aire d’hivernage. Évidemment, cet état de choses pourrait changer avec l’exploitation commerciale des forêts utilisées en hiver.

Il faudra prélever d’autres échantillons d’ADN dans toutes les populations pour établir les liens phylogénétiques. La date et le lieu de prélèvement de tous les échantillons devront être indiqués dans tous les rapports et publications. Certains des résultats actuels pourraient ne pas concerner la population visée, à cause du chevauchement des aires de répartition hivernales. On considère comme échantillons fiables les prélèvements effectués sur les aires de mise bas, les tissus de faons morts et les bois perdus par les femelles à l’époque de la mise bas ou les échantillons prélevés sur des individus portant un collier radio et dont les profils de déplacement sont connues.


Description

Le caribou des bois a un pelage brun sombre, une crinière blanche et un peu de blanc sur les flancs. La hauteur au garrot est de 1,0 à 1,2 m; les femelles et les mâles adultes pèsent généralement de 110 à 150 kg et 160 à 210 kg, respectivement. Certaines caractéristiques donnent à penser que Rangifer est le plus primitif de la famille des Cervidés (Banfield, 1974). Les deux sexes portent des bois, mais jusqu’à la moitié des femelles peuvent ne pas en avoir, ou n’en avoir qu’un. La ramure est aplatie, complexe, compacte, et relativement dense par rapport à celle du caribou de la toundra. Un trait caractéristique de tous les caribous est le sabot large et arrondi, qui leur permet de moins enfoncer, et facilite la marche sur la neige et dans les terres humides; le sabot est aussi utilisé pour creuser la neige à la recherche de nourriture. Les ergots sont gros, largement espacés et situés bien à l’arrière sur le pied, ce qui augmente considérablement la surface portante et réduit l’« effort au pied ». Banfield (1961, 1974), Miller (1982), Kelsall (1984), Geist (1991) et Bergerud (2000) ont décrit les caractéristiques physiques du caribou des bois.


Populations importantes à l’échelle nationale

Aux termes des lignes directrices du COSEPAC (2001), modifiant celles de 1994, des populations inférieures à l’espèce peuvent être prises en considération pour l’attribution d’un statut lorsqu’elles répondent aux critères suivants :

  1. la population est considérée comme génétiquement distincte à la lumière d’analyses génétiques, de techniques taxinomiques, ou d’autres preuves irréfutables.
  2. la population est géographiquement distincte et satisfait à l’un des critères ci-dessous :
    • la population représente une fraction significative de l’aire de répartition historique de l’espèce au Canada, ou
    • la population est la seule représentante d’une espèce en péril dans une des grandes zones biogéographiques du Canada.

En outre, la population doit être importante à l’échelle nationale. On présume que les populations vivant dans les AEN ont adapté leur comportement à ces environnements et sont donc importantes à l’échelle nationale (Shank, 1998). Elles sont considérées comme des unités évolutionnaires significatives (Ryder, 1986).

Les populations COSEPAC correspondent aux dèmes de Banfield (1961), avec l’exception que celui-ci a regroupé le caribou montagnard du Centre et du Sud de la Colombie-Britannique avec le dème boréal sylvestris. Le caribou des bois de Terre-Neuve était considéré comme une sous-espèce naissante par Banfield (1961), comme une sous-espèce par Geist (1991), et comme une population séparée par Kelsall (1984). Il diffère des caribous du continent par la génétique, l’écologie et le parasitisme (Røed et al., 1991; Dueck et Strobeck, comm. pers.; Ball et al., 2001).

Considérant ces changements, les écotypes forestiers de la sous-espèce caribou peuvent être groupés comme suit (par rapport aux divisions de 1984 de Kelsall) :

  1. population des montagnes du Nord (autrefois incluse dans la population de l’Ouest);
  2. population des montagnes du Sud (autrefois incluse dans la population de l’Ouest);
  3. population boréale (autrefois incluse dans la population de l’Ouest, ainsi que dans la population boréale et dans celle du Sud de la taïga en Ontario, au Québec et au Labrador);
  4. population de (l’île de) Terre-Neuve (autrefois incluse dans la population boréale de l’Est);
  5. population de la Gaspésie-Atlantique (autrefois population de la Gaspésie).

La limite entre les écotypes forestier (menacé) et toundrique (non en péril) en Ontario (Harris, 1999) coupe les plaines hudsonniennes à environ 53° de latitude Nord. Au Québec, la limite nord du caribou sédentaire (forestier) (Caribou Québec, 2000) se situe aux environs de 54° de latitude Nord.

Tous les paliers de gouvernement ont une obligation de conservation du caribou. L’adoption d’approches mondiales et nationales devrait les aider à fixer leurs priorités de conservation de manière qu’elles s’intègrent aux échelles plus vastes. De toute évidence, la collaboration entre compétences s’impose pour les populations transfrontalières. Par le passé, la quasi-totalité de l’aire de répartition du caribou des bois se prêtait à la transmission des gènes, maintenant entravée par la fragmentation des habitats. Il faudra donc assurer une gestion proactive des paysages pour conserver une certaine connectivité entre les populations locales.




Notes de bas de page

1 Thomas Wildlife Services
46 Pineview Drive
St. Albert, AB
T8N 4S8


2 Grayhound Information Services
3107 8th Line Road
Metcalfe, ON
K0A 2P0

 

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