Évaluation et Rapport de situation du COSEPAC sur la Tortue caouanne Caretta caretta au Canada – 2010

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Tortue caouanne

Illustration de la tortue caouanne (Caretta caretta).

EN VOIE DE DISPARITION– 2010

Les rapports de situation du COSEPAC sont des documents de travail servant à déterminer le statut des espèces sauvages que l’on croit en péril. On peut citer le présent rapport de la façon suivante :

COSEPAC. 2010. Évaluation et Rapport de situation du COSEPAC sur la tortue caouanne (Caretta caretta) au Canada. Comité sur la situation des espèces en péril au Canada. Ottawa. viii + 82 p.

Note de production :
Le COSEPAC aimerait remercier Kathleen Martin qui a rédigé le rapport de situation sur la tortue caouanne (Caretta caretta) au Canada en vertu d’un contrat avec Environnement Canada. Ronald J. Brooks, président du Sous–comité de spécialistes des amphibiens et des reptiles du COSEPAC, a supervisé les diverses étapes de la rédaction du présent rapport.

Pour obtenir des exemplaires supplémentaires, s’adresser au :

Secrétariat du COSEPAC
a/s Service canadien de la faune
Environnement Canada
Ottawa (Ontario)
K1A 0H3

Tél. : 819–953–3215
Téléc. : 819–994–3684
Courriel
Site Web

Also available in English under the title COSEWIC Assessment and Status Report on the Loggerhead Sea Turtle Caretta carettain Canada.

Illustration/photo de la couverture :
Tortue caouanne — Amanda Bennett.

© Sa Majesté la Reine du chef du Canada, 2010.
No de catalogue CW69–14/485–2010F–PDF
ISBN 978–1–100–94831–7


Nom commun
Tortue caouanne

Nom scientifique
Caretta caretta

Statut
En voie de disparition

Justification de la désignation
Cette espèce est en déclin à l’échelle mondiale. Des déclins continus bien documentés ont été observés chez la population de l’Atlantique Nord–Ouest. Des juvéniles de cette population s’aventurent régulièrement dans les eaux canadiennes de l’Atlantique pour se nourrir. La population canadienne est menacée directement par la pêche commerciale, particulièrement les prises accessoires dans la pêche pélagique à la palangre, ainsi que par la perte et la dégradation de plages de nidification dans le sud–est des États–Unis et dans les Caraïbes. Les autres menaces incluent les prises accessoires des chaluts de fond et pélagiques, le dragage, les filets maillants, les débris marins, la pollution chimique et la récolte illégale d’œufs et de femelles nicheuses.

Répartition
Océan Pacifique, Océan Atlantique

Historique du statut
Espèce désignée « en voie de disparition » en avril 2010.

Tortue caouanne Caretta caretta

Information sur l’espèce

La tortue caouanne (Caretta caretta) est l’une des six espèces de tortues marines à carapace dure qui forment la famille des Cheloniidés (ordre des Testudines). Les populations de l’Atlantique et du Pacifique sont génétiquement différentes, mais il n’existe pas de sous–espèce reconnue.

La tortue caouanne possède une tête et un bec plus grands que les autres espèces de tortues de mer. La tête et la dossière sont brun rougeâtre, et les nageoires marron, à marges tirant sur le jaune. Le pont qui relie la dossière au plastron ainsi que le plastron lui–même, le dessous de la gorge, les nageoires et la queue sont jaunes à blanc crème. Le dimorphisme sexuel est habituellement apparent chez les sujets dont la dossière dépasse 67 cm de longueur mesurée en ligne droite. Les mâles se distinguent facilement des femelles par leur queue plus longue et par la présence, sur les nageoires, d’une griffe plus longue et plus courbée.

Les tortues caouannes qui se trouvent en eaux canadiennes appartiennent vraisemblablement aux mêmes populations nicheuses que celles qui s’observent à la limite nord des eaux territoriales des États–Unis (Atlantique et Pacifique). Dans le Pacifique, les tortues qui pourraient se trouver dans les eaux canadiennes viendraient de populations nicheuses japonaises. Les populations nicheuses du sud de la Virginie, de la Caroline du Nord, de la Caroline du Sud, de la Géorgie, de la Floride et de la côte mexicaine de la mer des Caraïbes sont celles qui sont à l’origine des tortues que l’on trouve dans les eaux canadiennes de l’Atlantique.

Répartition

Les tortues caouannes sont largement répandues dans les océans Atlantique, Pacifique et Indien. Il n’existe aucune mention confirmée de la présence de l’espèce dans les eaux canadiennes du Pacifique. Toutefois, comme sa présence a été signalée dans les eaux américaines au large des États de Washington et de l’Alaska, il se pourrait qu’elle s’aventure à l’occasion au large de la Colombie–Britannique. On observe régulièrement des tortues caouannes juvéniles dans les eaux canadiennes de l’Atlantique; elles fréquentent d’ordinaire les eaux plus chaudes du Gulf Stream, au large, et s’observent le plus souvent sur le plateau et le talus néo-écossais, le banc Georges et les Grands Bancs.

La plupart des tortues caouannes nichent sur les côtes de l’ouest de l’océan Atlantique et de l’océan Indien, les sites de nidification les plus importants se trouvant dans le sud de la Floride (États–Unis) et dans l’île de Masirah (Oman). La limite nord de l’aire de nidification de l’Atlantique en Amérique du Nord se trouve en Virginie; la plus grosse colonie nicheuse se trouve en Floride. Les tortues caouannes du Pacifique Nord nichent presque exclusivement au Japon.

Habitat

La tortue caouanne a besoin à la fois d’un habitat terrestre et d’un habitat marin, mais elle passe la plus grande partie de sa vie en mer. Dès leur éclosion, les petites tortues quittent les nids creusés sur des plages sableuses pour se réfugier dans la mer. Les mâles ne reviendront jamais sur la terre ferme, et les femelles n’y reviendront que pour pondre leurs œufs. La tortue caouanne ne niche pas au Canada.

La tortue caouanne occupe des habitats marins différents aux diverses étapes de son cycle vital. Les tortues fraîchement écloses se réfugient dans les eaux néritiques de la zone peu profonde située sur le plateau continental ou sur le bord de ce plateau, où la profondeur de l’eau est inférieure à 200 m, et gagnent ensuite les eaux océaniques plus profondes. Les juvéniles migrent à travers les océans et reviennent en zones néritiques à mesure qu’ils parviennent à maturité, les femelles recherchant la plage où elles sont nées. On connaît encore relativement mal l’habitat des tortues caouannes matures et les déplacements des mâles matures. D’après les recherches actuelles, les tortues caouannes du Canada se trouvent en plus grands nombres dans les zones où la température de l’eau est supérieure à 22 °C.

Biologie

Les femelles matures ne retournent sur la terre ferme que pour pondre leurs œufs, tous les deux ou trois ans. Leurs trois ou quatre pontes contiennent chacune environ 112 œufs et sont produites à environ 14 jours d’intervalle. Les œufs éclosent au bout de 7 à 13 semaines d’incubation, selon la température du nid. Le sexe des tortues dépend de la température d’incubation : lorsque cette température est supérieure à 29 °C, les nouveau–nés sont majoritairement ou exclusivement femelles; à une température inférieure à ce seuil, ils sont majoritairement ou exclusivement mâles.

L’éclosion survient pendant la nuit et les nouveau–nés utilisent la lumière ambiante pour trouver le chemin de l’océan où ils entament une période de nage frénétique d’une durée de 20 à 30 heures. Ils restent en zone néritique (sur le plateau continental) pendant quelques semaines ou quelques mois, et se dispersent ensuite en zone océanique en empruntant les courants marins. On sait que les tortues caouannes du Pacifique se rendent en Basse–Californie (Mexique) et qu’elles fréquentent également les eaux de la bifurcation du courant de Kuroshio, dans le Pacifique Nord. Les nouveau–nés de l’ouest de l’Atlantique se rendent aux Açores et à Madère. Des recherches récentes indiquent qu’une partie de la population de l’ouest de l’Atlantique se dirigerait plutôt vers le nord pour atteindre les eaux canadiennes.

Les juvéniles reviennent en zones néritiques, mais ce retour pourrait ne pas être permanent. Juvéniles et adultes peuvent aller et venir entre les zones néritiques et océaniques, et choisissent peut–être leur habitat en fonction de la disponibilité des proies. La tortue caouanne atteint la maturité sexuelle entre 16 et 34 ans environ, et la durée d’une génération est d’environ 46 ans. L’espèce est carnivore et se nourrit de divers types de crustacés, de salpes, de poissons, de calmars et de méduses.

Taille et tendances des populations

Même si les tortues caouannes fréquentent régulièrement les eaux canadiennes de l’Atlantique, on sait peu de choses sur la taille ou les tendances de ces populations. Par le passé, la présence de l’espèce dans les eaux canadiennes était considérée comme fortuite ou accidentelle, mais de 1999 à 2006, on estime que les prises accessoires par les pêcheurs canadiens ont atteint 9 592 (moyenne annuelle de 1 199 prises). L’espèce est donc présente en nombres appréciables dans les eaux canadiennes. Les populations nicheuses qui sont probablement à l’origine des tortues caouannes observées au Canada sont en déclin.

Facteurs limitatifs et menaces

Les prises accessoires par la flottille de pêche pélagique à la palangre constituent la principale menace connue qui pèse sur les tortues caouannes en eaux canadiennes. Les captures de juvéniles jouent un rôle particulièrement important, puisque les variations du taux de survie de ce stade de développement sont celles qui ont le plus d’incidence sur la croissance de la population. Par ailleurs, les analyses de stocks mélangés montrent que des individus provenant de diverses zones de nidification se côtoient en zone océanique. Une perte importante de ces individus pourrait nuire aux colonies nicheuses de l’ensemble de la région.

À l’échelle mondiale, les tortues caouannes sont menacées par les prises accessoires, l’utilisation non halieutique des ressources (p. ex. braconnage), les activités de construction et d’aménagement sur les plages de nidification, d’autres modifications des écosystèmes, la pollution, les prédateurs naturels et peut–être également par d’autres facteurs comme les changements climatiques.

Importance de l'espèce

La tortue caouanne est une espèce à migrations lointaines et constitue donc une ressource partagée par de nombreux pays. La responsabilité du Canada à son égard est double : premièrement, il doit prendre les moyens nécessaires pour la protéger à l’intérieur de ses eaux territoriales; deuxièmement, il doit faire en sorte que le niveau de protection accordé ne nuise pas aux activités de conservation mises en œuvre ailleurs dans le monde. De surcroît, la tortue caouanne est la seule tortue marine à carapace dure à fréquenter les eaux canadiennes.

Protection actuelle ou autres désignations de statut

La tortue caouanne bénéficie d’une certaine protection en vertu de la Loi sur les pêches. Par l’application de la Loi, le gouvernement fédéral exécute ses responsabilités constitutionnelles en ce qui a trait à la pêche côtière et à la pêche intérieure. La Loi définit les pouvoirs, fonctions et attributions conférés au ministère des Pêches et des Océans (MPO) pour la conservation et la protection du poisson et de l’habitat du poisson (tel qu’il est défini dans la Loi) et assurer ainsi la pérennité de cette ressource pour les activités de pêche commerciale et récréative et de la pêche de subsistance des Autochtones.

La tortue caouanne bénéficie également de la protection de la Endangered Species Act des États–Unis, de la Convention interaméricaine pour la protection et la conservation des tortues marines (Inter–American Convention for the Protection and Conservation of Sea Turtles), du Protocole relatif aux zones et à la vie sauvage spécialement protégées (Protocol Concerning Specially Protected Areas and Wildlife), de la Convention sur le commerce international des espèces de faune et de flore sauvages menacées d'extinction et de la Convention sur la conservation des espèces migratrices.

HISTORIQUE DU COSEPAC
Le Comité sur la situation des espèces en péril au Canada (COSEPAC) a été créé en 1977, à la suite d’une recommandation faite en 1976 lors de la Conférence fédérale–provinciale sur la faune. Le Comité a été créé pour satisfaire au besoin d’une classification nationale des espèces sauvages en péril qui soit unique et officielle et qui repose sur un fondement scientifique solide. En 1978, le COSEPAC (alors appelé Comité sur le statut des espèces menacées de disparition au Canada) désignait ses premières espèces et produisait sa première liste des espèces en péril au Canada. En vertu de la Loi sur les espèces en péril (LEP) promulguée le 5 juin 2003, le COSEPAC est un comité consultatif qui doit faire en sorte que les espèces continuent d’être évaluées selon un processus scientifique rigoureux et indépendant.

MANDAT DU COSEPAC
Le Comité sur la situation des espèces en péril au Canada (COSEPAC) évalue la situation, au niveau national, des espèces, des sous–espèces, des variétés ou d’autres unités désignables qui sont considérées comme étant en péril au Canada. Les désignations peuvent être attribuées aux espèces indigènes comprises dans les groupes taxinomiques suivants : mammifères, oiseaux, reptiles, amphibiens, poissons, arthropodes, mollusques, plantes vasculaires, mousses et lichens.

COMPOSITION DU COSEPAC
Le COSEPAC est composé de membres de chacun des organismes responsable des espèces sauvages des gouvernements provinciaux et territoriaux, de quatre organismes fédéraux (le Service canadien de la faune, l’Agence Parcs Canada, le ministère des Pêches et des Océans et le Partenariat fédéral d’information sur la biodiversité, lequel est présidé par le Musée canadien de la nature), de trois membres scientifiques non gouvernementaux et des coprésidents des sous–comités de spécialistes des espèces et du sous–comité des connaissances traditionnelles autochtones. Le Comité se réunit au moins une fois par année pour étudier les rapports de situation des espèces candidates.

DÉFINITIONS (2010)

Espèce sauvage Espèce, sous–espèce, variété ou population géographiquement ou génétiquement distincte d’animal, de plante ou d’une autre organisme d’origine sauvage (sauf une bactérie ou un virus) qui est soit indigène du Canada ou qui s’est propagée au Canada sans intervention humaine et y est présente depuis au moins cinquante ans.

Disparue (D)
Espèce sauvage qui n’existe plus.

Disparue du pays (DP)
Espèce sauvage qui n’existe plus à l’état sauvage au Canada, mais qui est présente ailleurs.

En voie de disparition (VD)*
Espèce sauvage exposée à une disparition de la planète ou à une disparition du pays imminente.

Menacée (M)
Espèce sauvage susceptible de devenir en voie de disparition si les facteurs limitants ne sont pas renversés.

Préoccupante (P)**
Espèce sauvage qui peut devenir une espèce menacée ou en voie de disparition en raison de l'effet cumulatif de ses caractéristiques biologiques et des menaces reconnues qui pèsent sur elle.

Non en péril (NEP)***
Espèce sauvage qui a été évaluée et jugée comme ne risquant pas de disparaître étant donné les circonstances actuelles.

Données insuffisantes (DI)****
Une catégorie qui s’applique lorsque l’information disponible est insuffisante (a) pour déterminer l’admissibilité d’une espèce à l’évaluation ou (b) pour permettre une évaluation du risque de disparition de l’espèce.

* Appelée « espèce disparue du Canada » jusqu’en 2003.
** Appelée « espèce en danger de disparition » jusqu’en 2000.
*** Appelée « espèce rare » jusqu’en 1990, puis « espèce vulnérable » de 1990 à 1999.
**** Autrefois « aucune catégorie » ou « aucune désignation nécessaire ».
***** Catégorie « DSIDD » (données insuffisantes pour donner une désignation) jusqu’en 1994, puis « indéterminé » de 1994 à 1999. Définition de la catégorie (DI) révisée en 2006.

Le Service canadien de la faune d’Environnement Canada assure un appui administratif et financier complet au Secrétariat du COSEPAC.


Rapport de situation du COSEPAC sur la Tortue caouanne Caretta caretta au Canada – 2010.

La tortue caouanne a été décrite par Linné en 1758 sous le nom de Testudo caretta et a porté depuis plus de 35 noms différents (Dodd, 1988). Le nom scientifique actuel et généralement reconnu est Caretta caretta. En français, on l’appelle également « caouanne », que l’on épelle parfois « caouane ». La tortue caouanne est l’une des six espèces de tortues de mer à carapace dure qui forment la famille des Cheloniidés (ordre des Testudines; classe des Sauropsides). Les études génétiques montrent que les populations de l’Atlantique et de la région indopacifique sont distinctes, mais il n’existe pas de sous–espèce reconnue (Dodd, 1988; Bowen, 2003; Bowen et Karl, 2007).

La tortue caouanne doit son nom commun anglais de « Loggerhead Sea Turtle » à sa tête et son bec qui sont relativement plus grands que chez les autres tortues de mer. Le cou est trapu et, comme chez toutes les autres tortues marines, la tête n’est pas rétractile. La tête et la dossière sont brun rougeâtre, parfois olivâtre. Les écailles de la tête et les plaques osseuses de la dossière sont parfois bordées de jaune. Les nageoires sont marron, à marges tirant sur le jaune. Le pont qui relie la dossière au plastron et le plastron lui-même sont jaunes à blanc crème, tout comme le dessous de la gorge, des nageoires et de la queue. Il existe certaines variations géographiques de la coloration des subadultes et des adultes, et on a également signalé des variations sensibles de la coloration des nouveau–nés (même à l’intérieur de la même nichée), mais aucune comparaison normalisée n’a été publiée (Dodd, 1988; Kamezaki, 2003).

La carapace de l’adulte est épaisse et fortement kératinisée (recouverte de kératine, une substance protéique protectrice très dure) (Pritchard, 1979; Dodd, 1988; Ernst et Lovich, 2009). Elle est longue et souvent décrite comme étant en forme de cœur (cordiforme). Elle comporte cinq plaques osseuses vertébrales, habituellement cinq paires de plaques costales, 12 ou 13 paires de plaques marginales (y compris les plaques supra–caudales) et une large plaque nucale qui rejoint de part et d’autre les deux premières plaques costales (figure 1). Selon Kamezaki (2003), il est risqué de baser l’identification de l’espèce uniquement sur la disposition des plaques, puisque cette caractéristique varie suffisamment chez la tortue caouanne pour rendre la méthode peu fiable.

Figure 1. Morphologie externe et disposition des plaques osseuses de la tortue caouanne. V : plaques vertébrales; C : plaques costales; M : plaques marginales; N : plaque nucale; S : plaques supra–caudales. D’après N. Kamezaki (2003).

Lignes traçant la morphologie externe et la disposition des plaques osseuses de la tortue caouanne.

Les chercheurs utilisent généralement la longueur mesurée en ligne droite de la dossière (straight carapace length – SCL) pour mesurer les tortues caouannes. Il y a trois façons de mesurer cette longueur : a) SCL minimale; b) SCL de l’encoche nucale à l’extrémité postérieure; c) SCL maximale (Bolten, 1999) (figure 2).

Figure 2. Repères anatomiques utilisés pour la longueur mesurée en ligne droite (straight carapace length – SCL) et la longueur curviligne (curved carapace length – CCL) de la dossière. a) SCL et CCL minimales; b) SCL et CCL de l’encoche nucale à l’extrémité postérieure; c) SCL maximale. D’après Bolten, 1999.

Illustrations des repères anatomiques utilisés pour la longueur mesurée en ligne droite et la longueur curviligne de la dossière.

Dodd (1988) sépare les classes de tailles des populations mondiales de la tortue caouanne par région géographique. Il paraît toutefois plus pertinent, aux fins de l’examen des populations de l’espèce dans le contexte canadien, de s’en tenir aux classes de tailles des tortues caouannes de l’Atlantique qui se trouvent à la limite nord des eaux territoriales des États–Unis. Les mesures de longueur de la dossière correspondant à chacun des cinq stades de développement de la tortue caouanne décrits par le Turtle Expert Working Group (TEWG, 2009) s’établissent comme suit :

Le chevauchement des classes de tailles des divers stades de développement reflète la distribution des tailles de passage à chacun de ces stades (TEWG, 2009) (figure 3).

Figure 3. Modèle conceptuel de la distribution des tailles de chaque stade de développement de la tortue caouanne. D’après TEWG (2009).

Modèle conceptuel de la distribution des tailles de chaque stade de développement de la tortue caouanne illustrant le chevauchement des classes de tailles des divers stades de développement.

Les mesures effectuées sur les tortues caouannes des eaux canadiennes de l’Atlantique donnent à penser qu’il s’agit de juvéniles, comme ceux observés dans les eaux territoriales adjacentes des États–Unis (National Marine Fisheries Service et U.S. Fish and Wildlife Service [NMFS et USFWS], 1998; TEWG, 2000; Bowen et al., 2005; MPO, 2006; Bowen et Karl, 2007; Ledwell, 2007; McAlpine et al., 2007; NMFS et USFWS, 2007; Brazner et McMillan, 2008; NMFS et USFWS, 2008). La majorité des tortues caouannes qui se trouvent dans les eaux canadiennes de l’Atlantique sont probablement au stade 3 (Watson et al., 2005; Brazner et McMillan, 2008; TEWG, 2009). Les prises accessoires de la pêche pélagique à la palangre sur les Grands Bancs de Terre–Neuve dans la Northeast Distant Statistical Reporting Area (NED) (n = 93) avaient une longueur (SCL) variant de 32,4 à 68 cm, pour une moyenne de 56,8 cm (Watson et al., 2005). Brazner et McMillan (2008) font état des mesures effectuées sur 28 tortues caouannes capturées accidentellement dans les eaux canadiennes. Les valeurs de SCL variaient de 42 à 87 cm (moyenne = 53,9 cm), une majorité des tortues (85 %) ayant une SCL inférieure à 60 cm, et deux seulement dépassant 80 cm (Brazner et McMillan, 2008). Trois observations supplémentaires effectuées en zone côtière viennent corroborer ces données sur la distribution des tailles. Une tortue (vivante) capturée dans la baie Connaigra, sur la côte sud de Terre–Neuve, mesurait 76 cm (CCL) (Ledwell, 2007); une autre capturée au large de l’île Devils, en Nouvelle–Écosse, mesurait 30,5 cm (on n’a pas précisé s’il s’agissait de la SCL ou de la CCL); une troisième tortue capturée en 1964 au large du cap Chebucto, en Nouvelle–Écosse, mesurait 74,9 cm (CCL) (McAlpine et al., 2007).

Des spécimens dont la dossière dépassait 210 cm de longueur et qui pesaient plus de 450 kg ont été signalés (Ernst et al., 1994). Dans l’Atlantique, les tortues caouannes nicheuses atteignent en moyenne une longueur de dossière de 94 cm, et le poids des femelles atteint en moyenne 116 kg (d’après Dodd, 1988).

Les données disponibles sur la distribution par classes de tailles des tortues caouannes du Pacifique sont moins complètes. Toutefois, les taux de croissance mesurés chez les juvéniles du Pacifique Nord seraient égaux ou inférieurs à ceux mesurés chez les tortues caouannes de l’Atlantique (Zug et al., 1995; Bjorndal et al., 2000). Les tortues caouannes du Pacifique ne se déplacent pas dans les zones néritiques avant d’avoir atteint une SCL d’environ 60 cm (Conant et al., 2009). Les tortues caouannes qui nichent au Japon et qui forment la population nicheuse du Pacifique Nord (Hatase et al., 2002a) atteignent en moyenne une SCL de 89,0 cm et un poids de 96,8 kg (Uchida et Nishiwaki, 1982).

Le dimorphisme sexuel devient habituellement apparent lorsque les tortues caouannes atteignent une SCL de plus de 67 cm (Dodd, 1988). Les différences les plus évidentes sont la longueur de la queue et la forme des griffes (Wibbles, 1999). Comme chez les autres tortues de mer, les tortues caouannes mâles possèdent une queue plus longue, plus grosse et plus forte que les femelles (Dodd, 1988; Ernst et al., 1994; Wibbles, 1999; Kamezaki, 2003). La queue du mâle dépasse nettement le bord postérieur de la dossière tandis que celle de la femelle le dépasse à peine (Wibbles, 1999). Par ailleurs, même si les nageoires antérieures des mâles et des femelles possèdent des griffes, les mâles portent sur chaque nageoire une griffe nettement plus longue et plus courbée que les autres (Dodd, 1988; Ernst et al., 1994; Kamezaki, 2003).

La famille des Cheloniidés comprend trois lignées très anciennes qui, selon les données fossiles, se seraient différenciées il y plus de 24 millions d’années (Bowen, 2003). La tortue caouanne, la tortue olivâtre (Lepidochelys olivacea), la tortue de Kemp (L. kempii) et la tortue imbriquée (Eretmochelys imbricata) forment la tribu des Chelonini (Bowen, 2003). D’après l’étude des séquences de l’ADN mitochondrial, la tortue caouanne aurait divergé des autres espèces de sa tribu il y a environ 10 millions d’années. La tortue caouanne est de nos jours placée dans un genre monotypique (Dodd, 1988; Bowen, 2003).

La tortue caouanne compte deux lignées qui ont divergé il y a environ trois millions d’années : l’une vivant dans les océans Pacifique et Indien, et l’autre, dans l’Atlantique et la Méditerranée (Bowen, 2003). Deux transferts matrilinéaires sont survenus entre les deux groupes, probablement dans les eaux d’Afrique du Sud (Bowen, 2003). Le premier de ces transferts est survenu il y a environ 250 000 ans, et le second il y a probablement moins de 12 000 ans (Bowen, 2003; Bowen et Karl, 2007). Ces événements rares ont suffi pour empêcher les deux lignées de devenir deux espèces distinctes (Bowen, 2003; Bowen et Karl, 2007).

Les études de séquençage génétique confirment que les tortues caouannes femelles retournent au territoire natal, c’est-à-dire dans le voisinage de leur plage natale pour s’accoupler et nicher (Bowen et Karl, 2007). Il est donc possible de distinguer chaque population nicheuse à partir de son ratio d’haplotypes unique (Bowen et al., 2005; Bowen et Karl, 2007). Des études de l’ADN mitochondrial effectuées sur des populations nicheuses ont confirmé l’existence d’une forte structure de population au sein des colonies nicheuses (Bowen et Karl, 2007).

La population canadienne de la tortue caouanne n’a fait l’objet d’aucune étude génétique particulière. Cependant, les travaux réalisés dans la NED donnent à penser que les Grands Bancs de Terre–Neuve constituent une aire d’alimentation pour les tortues caouannes provenant de l’ensemble des plages de nidification de l’Atlantique (Bowen et al., 2005; LaCasella et al., 2006; Bowen et Karl, 2007). Les apports au groupe des juvéniles pélagiques sont à peu près proportionnels à la taille des populations nicheuses sources (LaCasella et al., 2006) (figure 4). Environ 80 % de toutes les activités de nidification des populations de l’Atlantique se déroulent sur les plages de la péninsule de Floride (figures 4 et 5), d’où proviennent également environ 90 % de tous les nouveau–nés (NMFS et USFWS, 2008; TEWG, 2009).

Les tortues caouannes du Pacifique Nord nichent presque toutes au Japon (Bowen et al., 1995; Hatase et al., 2002a; Bowen, 2003; Kamezaki et al., 2003; NMFS et USFWS, 2007; LeRoux et al., 2008). Les autres utilisent les plages de l’archipel Xisha, dans la mer de Chine méridionale (Chan et al., 2007) (figure 5.)

Figure 4. Nombres estimés et répartition des nids de la tortue caouanne dans le sud-est des États-Unis, aux Bahamas, à Cuba et au Mexique, de 2001 à 2008. D’après NMFS et USFWS (2008).

Carte des nombres estimés et de la répartition des nids de la tortue caouanne dans le sud-est des États-Unis, aux Bahamas, à Cuba et au Mexique, de 2001 à 2008.

Les populations de la tortue caouanne du Pacifique et de l’Atlantique sont géographiquement et génétiquement distinctes (Bowen, 2003). Les autorités des États-Unis, par le biais du National Marine Fisheries Service et du Fish and Wildlife Service des États–Unis, ont créé en février 2008 un groupe d’examen (le Biological Review Team – BRT) qu’elles ont chargé de déterminer s’il existait pour cette espèce des segments de population distincts (Distinct Population Segments – DPS). À l’exemple de la politique du COSEPAC sur les unités désignables, la politique des États–Unis sur les DPS s’applique si une population est à la fois distincte et importante par rapport à l’ensemble du taxon (United States Department of the Interior et United States Department of Commerce, 1996).

Le BRT a conclu à l’unanimité qu’il existait à l’échelle mondiale neuf DPS de la tortue caouanne représentant chacun une vaste portion de l’aire de répartition de l’espèce et un écosystème unique soumis aux influences de facteurs écologiques et physiques locaux (Conant et al., 2009). Chacun des segments de population est génétiquement unique (Conant et al., 2009). Selon le BRT, la disparition de l’un ou l’autre de ces DPS créerait une discontinuité importante dans l’aire de répartition mondiale de la tortue caouanne et une perte considérable de la diversité génétique de l’espèce (Conant et al., 2009). Les DPS de la tortue caouanne sont définis par le BRT comme suit :

Les DPS les plus importants pour l’évaluation de la tortue caouanne au Canada sont ceux du nord–ouest de l’Atlantique et du Pacifique Nord. Ils correspondraient chacun à une unité désignable distincte, celle du Pacifique et celle du nord–ouest de l’Atlantique. Toutefois, aucune tortue caouanne n’a jamais été observée dans les eaux canadiennes du Pacifique, et il est probable que la présence de l’espèce dans ces eaux ne serait que fortuite. En conséquence, on considère que toutes les tortues caouannes du Canada dont il est question dans le présent rapport appartiennent à une seule et même unité désignable.

La tortue caouanne habite les régions tempérées et tropicales des océans Atlantique, Pacifique et Indien. Dans son évaluation de l’espèce aux fins de sa Liste rouge, l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN, 1996) juge que la tortue caouanne est indigène dans 54 pays (excluant le Canada) et que sa présence est incertaine dans cinq autres pays. On trouve cette tortue dans toutes les principales zones de pêche de l’Organisation des Nations Unies pour l'alimentation et l'agriculture (FAO), à l’exception de celles de l’Arctique et de l’Antarctique (UICN, 1996; FAO, 2009).

La tortue caouanne utilise à la fois les zones océaniques et néritiques de l’habitat marin. Selon la définition de Bolten (2003), les zones océaniques sont des zones de pleine mer où la profondeur minimale est supérieure à 200 m. Les zones néritiques correspondent au plateau continental ou aux zones dont la profondeur ne dépasse pas 200 m (Bolten, 2003).

Dans les zones océaniques, les tortues caouannes passent 75 % de leur temps dans la couche supérieure de 5 m de la colonne d’eau (Bolten, 2003). Quatre–vingts pour cent de leurs plongées ne dépassent pas 5 m, les autres étant réparties dans les 100 premiers mètres de la colonne d’eau, avec quelques incursions à des profondeurs supérieures à 200 m (Bolten, 2003). Les recherches de McCarthy et al. (2004) donnent à penser que les tortues caouannes se concentrent près des fronts océanographiques à cause, peut–être, de la densité plus grande des proies qui les caractérise.

Dans les zones néritiques, les tortues caouannes se trouvent généralement dans des profondeurs de 22 à 49 m (Shoop et Kenney, 1992; Hopkins–Murphy et al., 2003; Schroeder et al., 2003). Les recherches génétiques donnent à penser qu’une partie des tortues caouannes juvéniles fréquentent les zones au voisinage des plages où elles sont nées, et que les femelles matures – et peut–être aussi les mâles – restent très fidèles à leur habitat de reproduction et de nidification (Schroeder et al., 2003; Bowen et al., 2005). Des observations permettent par ailleurs de conclure que les juvéniles sont fidèles à leurs aires d’alimentation (Avens et al., 2003; Avens et Lohmann, 2004).

Toutefois, les recherches actuelles portent à conclure que les tortues caouannes se déplacent entre les zones océaniques et néritiques (Hatase et al., 2002a; Bolten, 2003; Ehrhart et al., 2003; Schroeder et al., 2003; Bass et al., 2004; Hawkes et al., 2006; McClellan et Read, 2007; Casale et al., 2008; Mansfield et al., 2009; Reich et al., 2010). On connaît encore mal les facteurs qui pourraient influer sur le choix de l’habitat. Selon certaines études, la taille des individus pourrait jouer un rôle (Hatase et al., 2002a; Hawkes et al., 2006; Reich et al., 2010). Toutefois, ce facteur n’influait pas sur la plasticité de l’espèce dans une étude conduite par McClellan (2007) où le chercheur conclut que l’âge, le sexe, l’état de santé ou la plage d’origine n’influeraient vraisemblablement pas non plus sur ce choix. Il est possible que la fidélité temporaire ou permanente à des zones océaniques ou néritiques particulières varie d’un individu ou d’une population à l’autre selon les caractéristiques océanographiques du milieu et la disponibilité des proies dans les aires d’alimentation ou de migration (Polovina et al., 2000; Witherington, 2002; Casale et al., 2008; Kobayashi et al., 2008).

La majorité des plages de nidification de la tortue caouanne se trouvent sur les côtes occidentales des océans Atlantique et Indien. Les aires de nidification les plus importantes se trouvent dans le sud de la Floride (États–Unis) et dans l’île de Masirah, en Oman, pays qui se trouve immédiatement à l’est de l’Arabie saoudite, sur l’océan Indien (Baldwin et al., 2003; Ehrhart et al., 2003, Kamezaki et al., 2003; Limpus et Limpus, 2003; Margaritoulis et al., 2003). Les principales aires de nidification du Pacifique se trouvent au Japon (Hatase et al., 2002a; Bowen, 2003; Kamezaki et al., 2003; NMFS et USFWS, 2007; LeRoux et al., 2008), dans l’est de l’Australie et en Nouvelle–Calédonie (Limpus et Limpus, 2003) (figure 5).

Figure 5. Répartition mondiale des aires de nidification de la tortue caouanne. D’après NMFS et USFWS (2008).

Carte de la répartition mondiale des aires de nidification de la tortue caouanne.

Océan Atlantique

La tortue caouanne est observée régulièrement dans les eaux canadiennes de l’Atlantique (Bleakney, 1965; Ladzell, 1980; Witzell, 1999; Javitech, 2002; Javitech, 2003; Ledwell, 2007; McAlpine et al., 2007; Brazner et McMillan, 2008; James, comm. pers., 2009; Lawson, comm. pers., 2009). L’espèce fréquente les eaux du plateau et du talus néo-écossais, du banc Georges et des Grands Bancs, ainsi que les zones plus au large (Witzell, 1999; Javitech, 2002; Javitech, 2003; McAlpine et al., 2007; Brazner et McMillan, 2008; Canadian Sea Turtle Sightings Database, 2009; Lawson, comm. pers., 2009) (figures 6 et 7). Selon les recherches existantes, les tortues caouannes seraient présentes dans les eaux canadiennes en plus grands nombres au printemps, en été et en automne (Witzell, 1999; Brazner et McMillan, 2008; Canadian Sea Turtle Sightings Database, 2009). Ces données sont liées à l’effort de pêche.

Les rapports de prises accessoires de tortues caouannes par la flottille canadienne de pêche pélagique à la palangre dans l’Atlantique (n = 701), de 1999 à 2006, dans la zone économique exclusive du Canada, proviennent principalement des zones extracôtières le long du plateau néo-écossais occidental et du banc Georges, au large de la Nouvelle–Écosse, et des environs des Grands Bancs de Terre–Neuve (figure 6). Aucune tortue caouanne n’a été observée dans les zones côtières du sud–est de la Nouvelle–Écosse ou du nord–est des Grands Bancs malgré les multiples occasions d’observation qui se présentent dans ces zones. Des tortues caouannes ont été aperçues le long des isothermes de 20 à 25 °C, alors que l’effort de pêche portait sur une large plage de températures (Brazner et McMillan, 2008). Aucune capture n’a été signalée lorsque la température de l’eau dans la zone de pêche était inférieure à 15 °C (Brazner et McMillan, 2008). Les prises accessoires de tortues étaient concentrées dans les eaux de température supérieure à 22 °C (Brazner et McMillan, 2008). Selon Hawkes et al. (2007), les tortues caouannes pourraient passer l’hiver dans des zones où le Gulf Stream maintient la température de l’eau à plus de 14 °C.

Figure 6. Lieux de prises accessoires de tortues caouannes enregistrées par des observateurs en mer lors d’expéditions canadiennes de pêche à la palangre, de 1999 à 2008. Chacun des points indique la capture d’une ou de plusieurs tortues caouannes (Pêches et Océans Canada, 2009).

Carte des lieux de prises accessoires de tortues caouannes enregistrées par des observateurs en mer lors d’expéditions canadiennes de pêche à la palangre, de 1999 à 2008.

Il existe quelques mentions d’observations de tortues caouannes en zones côtières dans les eaux canadiennes de l’Atlantique (Bleakney, 1965; Ledwell, 2007; McAlpine et al., 2007; Lawson, comm. pers., 2009), dont un hybride de la tortue caouanne et de la tortue verte (James et al., 2004). Toutefois, les observations proviennent généralement des eaux extracôtières plus chaudes du Gulf Stream (Shoop, 1980; Shoop et Kenny, 1992; Witzell, 1999; Hawkes et al., 2007; McAlpine et al., 2007; Brazner et McMillan, 2008; James, comm. pers., 2009) (figure 7). La température de l’eau dans les zones côtières canadiennes de l’Atlantique est habituellement trop basse pour le seuil de tolérance de la tortue caouanne (Hopkins-Murphy et al., 2003; Hawkes et al., 2007; James, comm. pers., 2009). Les tortues caouannes deviennent léthargiques lorsque l’eau atteint une température d’environ 13 °C, et se laissent flotter sans bouger lorsque l’eau atteint environ 10 °C (Mrosovsky, 1980). Il est rare que l’on trouve des tortues caouannes en zones côtières, et les tortues observées dans ces zones se trouvaient vraisemblablement dans des anneaux d’eaux chaudes détachés du Gulf Stream (McAlpine et al., 2007; James, comm. pers., 2009). Le programme de suivi du Réseau canadien pour les tortues marines (Canadian Sea Turtle Network), qui diffuse de l’information sur la tortue caouanne et la tortue luth dans les collectivités côtières, a compilé un nombre important d’observations de tortues luth en zones côtières (Martin et James, 2005a). Il existe également de nombreuses mentions d’observations de tortues caouannes (n = 81) dans les eaux extracôtières (Martin et James, 2005a; James et al., 2006; McAlpine et al., 2007; Canadian Sea Turtle Sightings Database, 2009). Les mentions d’observations en zones côtières sont moins nombreuses, ce qui donne à conclure que les tortues caouannes ne s’aventurent pas régulièrement près des côtes.

Figure 7. Occurrences de tortues caouannes au large de la côte est du Canada. Chaque point représente une occurrence; les données sont tirées de documents publiés ou de rapports inédits (n = 17) provenant de relevés aériens effectués par le National Marine Fisheries Service des États–Unis du 10 au 26 août 1999. Les zones ombragées indiquent l’emplacement approximatif des zones de concentration d’observations de tortues que l’on croit être des tortues caouannes a) effectuées par les membres du groupe de travail néo–écossais sur la tortue luth (Nova Scotia Leatherback Turtle Working Group), ou b) établies à partir des données de prises accessoires des palangriers pélagiques compilées par Witzell (1999). Les points d’interrogation indiquent les zones qui devraient faire l’objet d’études plus approfondies. D’après McAlpine et al., 2007.

Carte des occurrences de tortues caouannes au large de la côte est du Canada selon les données tirées de documents publiés ou de rapports inédits.

Océan Pacifique

Il n’existe aucune mention d’observation de tortues caouannes dans les eaux du Pacifique, au large de la Colombie–Britannique (McAlpine et al., 2007; Spaven, comm. pers., 2009). Toutefois, selon des observations provenant des côtes de l’État de Washington et de l’Alaska, l’espèce pourrait occasionnellement s’aventurer dans les eaux côtières de la Colombie-Britannique (Hodge, 1982; Bane, 1992; Hodge, 1992; Hodge et Wing, 2000; McAlpine et al., 2007). Le réseau d’observation des cétacés (Cetacean Sightings Network) de la Colombie–Britannique, qui compile également les observations de tortues de mer, fait état de 31 mentions de tortues de mer non identifiées (Spaven, comm. pers., 2009; Wild Whales, 2010). Il est possible que certaines des tortues aperçues aient été des tortues caouannes. Toutefois, nos connaissances actuelles des habitats océanique et néritique des tortues caouannes du Pacifique Nord permettent de conclure que l’espèce ne serait présente qu’au sud des eaux canadiennes. Dans les zones océaniques, on trouve les tortues caouannes au sud du 44e degré de latitude nord (Kobayashi et al., 2008). Dans les zones néritiques du Pacifique au large de l’Amérique du Nord, on les observe le long de la côte de la Basse–Californie du Sud, au Mexique (Bowen et al., 1995; Koch et al., 2006; Peckham et Nichols, 2003; Peckham et al., 2007).

Les tortues caouannes ont besoin à la fois d’un habitat terrestre (pour la nidification) et d’un habitat marin.

Habitat de nidification

La tortue caouanne niche sur les plages océaniques et, à l’occasion, sur les rives d’estuaires. Les nids sont habituellement creusés entre la ligne de marée haute et le front dunaire (Routa, 1968; Witherington, 1986; Hailman et Elowson, 1992). Les œufs ont besoin d’un substrat très humide qui permet un échange de gaz suffisant et maintient des températures propices à leur développement (Miller, 1997; Miller et al., 2003). La tortue caouanne ne niche pas au Canada (figure 5). Il est probable que les individus observés dans les eaux canadiennes appartiennent aux populations nicheuses des eaux américaines (NMFS et USFWS, 1998; TEWG, 2000; Bowen et al., 2005; MPO, 2006; LaCasella et al., 2006; Bowen et Karl, 2007; McAlpine et al., 2007; NMFS et USFWS, 2007; Brazner et McMillan, 2008; NMFS et USFWS, 2008).

Les sites de nidification des tortues caouannes observées dans le nord–ouest de l’Atlantique se trouvent sur les côtes du sud de la Virginie, ainsi qu’en Caroline du Nord, en Caroline du Sud, en Géorgie et en Floride. Il en existe également depuis la côte mexicaine des Caraïbes, jusqu’en Guyane française, aux Bahamas, dans les Petites Antilles et dans les Grandes Antilles (Pearce, 2001; Bowen, 2003; Bowen et Karl, 2007; NMFS et USFWS, 2008, Conant et al., 2009; TEWG, 2009). Environ 80 % des nids de la tortue caouanne de l’Atlantique se trouvent sur les plages de la péninsule de Floride (figures 4 et 5), d’où proviennent environ 90 % de tous les nouveau–nés (NMFS et USFWS, 2008; TEWG, 2009).

Les tortues caouannes du Pacifique Nord nichent presque toutes au Japon (Bowen et al., 1995; Hatase et al., 2002a; Bowen, 2003; Kamezaki et al., 2003; NMFS et USFWS, 2007; LeRoux et al., 2008). On signale l’existence d’une aire de nidification de faible importance sur l’archipel Xisha, dans la mer de Chine méridionale (Chan et al., 2007). Les plages de nidification du Japon sont largement réparties entre le 24e degré et le 37e degré de latitude nord (Hatase et al., 2002a; Kamezaki et al., 2003). Les trois principaux sites de ponte se trouvent sur l’île Yakushima et sur les plages de Miyazaki et de Minabe, sur les îles principales du Japon (Kamezaki, 2003) (figure 5).

Habitat marin

La tortue caouanne habite les régions tempérées et tropicales des océans Atlantique, Pacifique et Indien, et utilise les zones océaniques et néritiques de l’habitat marin. Jusqu’à récemment, on supposait que le choix de l’habitat de l’espèce dépendait de son stade de développement, et que les juvéniles passaient de la zone océanique à la zone néritique pour y rester en permanence, ne faisant plus ensuite que des déplacements latitudinaux saisonniers entre les aires d’alimentation et les aires de reproduction néritiques (Carr, 1987; Bjorndal et al., 2000; Snover, 2002; Bolten, 2003). Toutefois, selon des recherches récentes, les changements d’habitat ne seraient pas permanents (Hatase et al., 2002a; Bolten, 2003; Ehrhart et al., 2003; Schroeder et al., 2003; Bass et al., 2004; Hawkes et al., 2006; McClellan et Read, 2007; Casale et al., 2008; Kobayashi et al., 2008; Mansfield et al., 2009; Reich et al., 2010). Selon Casale et al. (2008), le cycle vital de la tortue caouanne ne serait pas constitué d’une succession de changements ontogéniques et de stades correspondant à des zones océanographiques particulières, et les tortues choisiraient plutôt individuellement leur habitat – épipélagique, benthique ou les deux – en fonction de leurs besoins alimentaires (figure 8).

Si l’utilisation de l’habitat de la tortue caouanne est dictée par les caractéristiques océanographiques et la disponibilité des proies (Polovina et al., 2000; Witherington, 2002; Casale et al., 2008; Kobayashi et al., 2008), son utilisation de l’habitat marin risque de fluctuer sous l’effet des changements climatiques et de l’augmentation des températures qu’ils entraîneront à la surface des océans (Chaloupka et al., 2008). On connaît encore mal la mesure dans laquelle la tortue caouanne et ses proies réagissent aux variations thermiques du milieu marin. Toutefois, certaines études ont décrit une évolution du comportement de nidification (début plus précoce de la période de ponte et réduction du nombre de pontes) liée à une hausse de la température à la surface de la mer (Chaloupka et al., 2008; Mazaris et al., 2008; idem, 2009).

Océan Atlantique

Après leur éclosion, les tortues caouannes du nord–ouest de l’Atlantique se déplacent vers le large et s’associent aux zones de convergence comme l’habitat et les colonies dérivantes de sargasses (Carr, 1986; Witherington, 2002). Elles utilisent le tourbillon de l’Atlantique Nord pour se déplacer vers le nord–est de l’Atlantique et la mer Méditerranée, et notamment vers les régions des Açores et de Madère (Carr, 1987; Bolten, 2003; Carreras et al., 2006; Eckert et al., 2008). On trouve également des juvéniles océaniques dans les eaux canadiennes et dans les eaux extracôtières au large de la zone sous contrôle canadien (Bleakney, 1965; Ladzell, 1980; Witzell, 1999; Javitech, 2002; idem, 2003; Bowen et al., 2005; LaCasella et al., 2006; Ledwell, 2007; McAlpine et al., 2007; Brazner et McMillan, 2008; James, comm. pers., 2009; Lawson, comm. pers., 2009).

Les juvéniles des zones néritiques s’observent de la baie de Cape Cod, au Massachusetts, jusqu’au golfe du Mexique. Les eaux estuariennes des États–Unis renferment d’importants milieux côtiers (p. ex. , détroit de Long Island, baie de Chesapeake, détroits de Pamlico et de Core, lagunes des rivières Mosquito et Indian, baie de Biscayne, baie de Floride et échancrures du golfe du Mexique) (Conant et al., 2009).

Les tortues caouannes adultes non pondeuses de la zone néritique sont moins nombreuses à fréquenter les milieux estuariens fermés et peu profonds qui offrent un accès à la mer plus limité (Conant et al., 2009). Les zones estuariennes plus ouvertes sur la mer (p. ex. baie de Chesapeake) sont fréquentées à la fois par les juvéniles et les adultes (Conant et al., 2009). Les milieux d’eau peu profonde débouchant sur de vastes milieux marins (p. ex. baie de Floride) offrent l’année durant des aires d’alimentation importantes pour les mâles et les femelles adultes (Conant et al., 2009). Les tortues caouannes adultes vivent principalement dans les eaux du plateau continental, de l’État de New York jusqu’au golfe du Mexique (zone extracôtière) (Conant et al., 2009). Certaines observations laissent également conclure à une utilisation saisonnière des eaux du plateau centratlantique (Hawkes et al., 2007) et peut–être également des eaux canadiennes (n = 2) (Brazner et McMillan, 2008).

Océan Pacifique

Les aires d’alimentation importantes pour les tortues caouannes juvéniles du Pacifique comprennent les eaux du centre du Pacifique Nord, y compris les eaux de la bifurcation du courant de Kuroshio (Polovina et al., 2004; idem, 2006) et les eaux côtières de la Basse–Californie du Sud, au Mexique (Bowen et al., 1995; Pitman, 1990; Nichols et al., 2000; Peckham et Nichols, 2003; Peckham et al., 2007). La mer de Chine orientale constitue un habitat important pour les femelles adultes après la nidification qui effectuent les migrations saisonnières de reproduction entre les aires d’alimentation et les plages de nidification (Iwamoto et al., 1985; Kamezaki et al., 1997; Conant et al., 2009).

Une étude de télémesure satellitaire d’une durée de 10 ans portant sur les tortues caouannes du Pacifique Nord (n = 186) a montré que les tortues occupent une zone comprise entre le 150e degré de longitude est, le 130e degré de longitude ouest, et les 27e et 44e degrés de latitude nord (Kobayashi et al. 2008). La présence de la tortue caouanne a été signalée dans des eaux dont la température variait de 14,45 à 19,95 °C et dont la teneur en chlorophylle a en surface variait de 0,11 à 0,31 mg/m³ (Kobayashi et al., 2008). Les préférences affichées par les tortues caouannes pour la chlorophylle a donnent à penser que le front de chlorophylle de la zone de transition (Transition Zone Chlorophyll Front) constitue pour l’espèce un important habitat d’alimentation (Kobayashi et al., 2008). On pense que le front de chlorophylle est une zone de convergence de surface qui aurait pour effet de concentrer les proies flottantes de la tortue caouanne (Polovina et al., 2001; Parker et al., 2005; Kobayashi et al., 2008).

Figure 8. Tortues caouannes : stades de développement (juvéniles ou adultes); stades écologiques (épipélagique obligatoire ou opportuniste à double habitat); habitats (épipélagique ou benthique); zones océanographiques (océanique ou néritique). La largeur du rectangle représente le total de la population à un âge donné. D’après Casale et al. (2008).

Diagramme illustrant comment les stades de développement (nouveaux-nés, juvéniles, adultes) et les stades écologiques (épipélagique obligatoire et opportuniste à double habitat) des tortues caouannes sont associés aux types d’habitats (épipélagique et benthique) et aux zones océanographiques (océanique et néritique).

Les données requises pour établir les tendances en matière d’habitat au cours des trois dernières générations (> 100 ans) ne sont pas disponibles. Nous examinons ci–après les facteurs qui influent actuellement sur la superficie ou sur la qualité de l’habitat ou qui pourraient influer sur ces facteurs à l’avenir. Ces facteurs sont les mêmes pour les populations de la tortue caouanne de l’Atlantique Nord et du Pacifique Nord. Même si la tortue caouanne ne niche pas au Canada, il reste utile de traiter de l’habitat de nidification d’où proviennent les individus que l’on trouve en eaux canadiennes.

Habitat de nidification

Les principaux facteurs influant sur l’habitat de nidification de la tortue caouanne sont les suivants :

Habitat marin

L’habitat de la tortue caouanne au Canada bénéficie d’une certaine protection en vertu de la Loi sur les pêches, Par l’application de la Loi, le gouvernement fédéral exécute ses responsabilités constitutionnelles en ce qui a trait à la pêche côtière et à la pêche intérieure. La Loi définit les pouvoirs, fonctions et attributions conférés au ministère des Pêches et des Océans (MPO) pour la conservation et la protection du poisson et de l’habitat du poisson (tel qu’il est défini dans la Loi) et assurer ainsi la pérennité de cette ressource pour les activités de pêche commerciale et récréative et de la pêche de subsistance des Autochtones.
L’habitat de la tortue caouanne bénéficie également d’une certaine protection en vertu de la Loi sur les océans qui donne au MPO le mandat de créer des aires marines protégées (AMP) dans le but de protéger et de conserver les habitats importants des poissons et des mammifères marins, y compris l’habitat de la tortue caouanne. La zone de protection marine du Gully, qui se trouve à environ 200 km au large des côtes de la Nouvelle–Écosse (Ministère de la Justice du Canada, 2004) englobe une partie de l’habitat de la tortue caouanne.

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